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Libération
Reportage

Vietnam, 50 ans après la guerre : «Le 30 avril est un jour triste car j’ai perdu mon pays»

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Cinquante ans après la chute de Saïgon, le Vietnam unifié jouit d’un développement économique florissant. Mais les fantômes de la guerre restent présents, en particulier dans le Sud défait où la mémoire du conflit reste compliquée à transmettre.
Un char de l'armée du Sud-Vietnam saisi par l'Armée populaire vietnamienne lors de la prise de Hue, le 24 mars 1975. (Vietnam News Agency/AFP)
par Camille Philippe, envoyée spéciale à Hô Chi Minh-Ville
publié le 27 avril 2025 à 7h15

En bon Vietnamien, Binh (1) pratique la médecine traditionnelle. Assis sur une chaise longue au fond de sa droguerie de la grande banlieue d’Hô Chi Minh-Ville, ex-Saïgon, il se perd dans les volutes de fumées de longues journées chaudes et humides qui se ressemblent. A portée de main, une petite plaque métallique gravée de ses nom et matricule d’ancien combattant de l’armée du Sud rappelle un passé qu’il évite d’évoquer. Sa plaque est accrochée par une petite chaîne à boules à un flacon de baume du tigre. Depuis des siècles, on gratte vigoureusement la peau lorsqu’on est malade pour libérer le corps des «mauvais vents». D’usage, on utilise plutôt une pièce de monnaie, mais Binh a choisi de régler ses maux d’aujourd’hui avec les traumatismes tus d’hier.

A 71 ans, cet homme élancé mais bossu est un vétéran taiseux de l’armée du Sud-Vietnam. Pendant les vingt ans de la guerre du Vietnam, le Sud soutenu par les Etats-Unis a fait face aux combattants vietminh et communistes victorieux d’Hô Chi Minh, le père de l’indépendance. Un conflit sanglant en pleine guerre froide qui a conduit à la mort de deux millions de personnes, en blessant trois autres millions. La réunification du pays sous l’égide d’un Etat-parti autoritaire lors de la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, a conduit à l’exode de 13 millions de Vietnamiens, principalement venant du Sud défait.

Une amnésie forcée

Que reste-t-il de cette mémoire aujourd’hui ? Les langues se délient difficilement au pays de l’oncle Hô, a fortiori quand