Membre du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) pendant près de quinze ans, jusqu’aux débuts des années 90, Silvio Prado a connu de l’intérieur le mouvement révolutionnaire qui a pris le pouvoir au Nicaragua en 1979. Il a même exercé des responsabilités au sein du bureau des relations internationales du parti. Aujourd’hui en exil en Espagne, le fondateur du Centre d’études et d’analyses politiques (Ceap) du Nicaragua porte un regard critique sur le régime du président Daniel Ortega et de sa femme, Rosario Murillo, qui réprime brutalement l’opposition en amont des élections générales de dimanche.
Quel était le modèle de société proposé par le mouvement sandiniste au moment de la révolution de 1979 ?
Quand il s’est emparé du pouvoir, le FSLN n’avait pas de programme clair. Il portait surtout une proposition éthique de changement de société, en rupture avec l’histoire politique du Nicaragua. L’objectif était d’en finir avec le régime corrompu et répressif du dictateur Anastasio Somoza. Les sandinistes avaient un idéal de justice sociale : ils étaient en faveur d’une distribution plus égalitaire de la richesse et de politiques publiques dirigées d’abord vers les plus pauvres. Ils soutenaient l’émancipation des femmes et l’inclusion des travailleurs dans les décisions de politiques publiques. Il s’agissait de construire une vraie démocratie et une société plus horizontale.
Témoignages
A quand remonte le durcissement autoritaire du régime sandiniste ?
Lors du congrès extraordinaire du FSLN en 1993, Daniel Ortega a écarté ses opposants à l’intérieur du parti, qui avaient basculé dans l’opposition trois ans plus tôt. C’est une rupture. A partir de ce moment-là, Ortega est seul détenteur du pouvoir au sein du parti. Le FSLN devient une organisation rigide, fermée, qui ne tolère pas les voix dissidentes. C’est le début du projet autoritaire d’Ortega. En 2006, le FSLN qui revient au pouvoir n’a plus rien à voir avec celui des débuts. La dimension doctrinale du parti s’est effacée derrière la toute-puissance d’un leader unique.
Rosario Murillo, l’épouse de Daniel Ortega, est la vice-présidente du Nicaragua. Celui-ci vient même de lui promettre un rôle de coprésidente qui n’est pas prévu par la Constitution. Quel est le rôle de la famille Ortega dans la gouvernance du pays ?
Le FSLN est passé d’un parti de masse à un parti-famille. Cela date du mitan des années 2000, quand Rosario Murillo, qui a défendu son mari contre les accusations d’inceste portées par sa fille à elle, a commencé à s’afficher publiquement comme une actrice du pouvoir. Aujourd’hui, Rosario Murillo partage les responsabilités avec son mari : à lui les questions régaliennes, à elle l’organisation de la discipline au sein du FSLN. Quant aux enfants Ortega, ils sont chargés de pans entiers de l’économie. Le sandinisme est devenu un projet népotique incarné par un parti coopté par et pour la famille Ortega. D’ailleurs, le président espère voir un jour un de ses fils lui succéder.
Analyse
Que reste-t-il aujourd’hui des promesses sandinistes ?
Aujourd’hui, le FSLN est un groupe de personnes dont le seul objectif est de maintenir Daniel Ortega au pouvoir. L’unique moyen qu’ils ont trouvé est l’exercice d’une violence extrême contre la population qui s’oppose à leurs plans. Il ne reste du projet sandiniste originaire que les quatre lettres qui forment l’acronyme du parti. Le FSLN est devenu une organisation conservatrice. C’est très clair sur la question de l’avortement, qui est l’objet au Nicaragua d’une des législations les plus répressives du continent. Le FSLN est aussi devenu un parti néolibéral qui a donné de plus en plus de poids au marché et au secteur privé. Daniel Ortega s’est avéré un des meilleurs élèves du FMI et de la Banque mondiale, qui l’ont félicité pour ses politiques économiques. Mais celles-ci ont surtout eu pour effet de reconcentrer la richesse entre les mains d’une portion toujours plus petite de la population. Bref, le FSLN n’a plus rien de révolutionnaire.