Menu
Libération
Répression

Au Nicaragua, une présidentielle piégée par Daniel Ortega

Décimée par les arrestations de sept candidats potentiels et de dizaines d’autres adversaires du régime, l’opposition au président et à sa femme Rosario Murillo appelle à boycotter le scrutin du 7 novembre.
Le parti sandiniste, incarné par Daniel Ortega et Rosario Murillo, le couple présidentiel, est au pouvoir depuis 2006. (Alfredo Zuniga/AP)
publié le 6 novembre 2021 à 11h53

«Une farce électorale» : c’est ainsi que les détracteurs de Daniel Ortega décrivent le scrutin présidentiel qui se tiendra au Nicaragua ce dimanche. Accablée par les arrestations arbitraires et les persécutions en tous genres, l’opposition refuse de reconnaître la légitimité du vote, prévu en même temps que les élections législatives dans cet Etat centraméricain de 6,5 millions d’habitants. Le chef de l’Etat, qui brigue un quatrième mandat en compagnie de la vice-présidente, qui n’est autre que sa femme, Rosario Murillo, est accusé d’avoir manœuvré pour éliminer toute concurrence crédible, rendant sa réélection inéluctable.

Inféodé au pouvoir, le Conseil suprême électoral a exclu les principales coalitions de l’opposition, à commencer par Citoyens pour la liberté (CxL), mise hors-jeu début août. Seules ont été autorisées à participer cinq petites structures sans poids politique, qui s’alignent le plus souvent sur les positions de l’exécutif. Des partis «moustiques», comme on les appelle au Nicaragua, qui n’ont aucune chance face au Front sandiniste de libération nationale (FSLN). Baptisée en l’honneur du général révolutionnaire Augusto Sandino, cette formation jadis progressiste est à la tête du pays depuis 2006.

Depuis le printemps, sept candidats potentiels à l’élection présidentielle ont été arrêtés. Parmi eux, Cristiana Chamorro, la fille de l’ancienne présidente Violeta Chamorro, qui avait battu le FSLN lors du scrutin de 1990. Considérée comme la figure la plus à même de faire tomber Daniel Ortega, la journaliste a été interpellée le 2 juin, quelques heures après avoir déclaré sa candidature, au motif d’accusations de blanchiment d’argent.

Une quarantaine de personnes tenues par le régime pour des opposants ont été emprisonnées en quelques mois, aussi bien d’anciens dirigeants sandinistes que des représentants des milieux d’affaires, à l’image du président de la principale organisation patronale, arrêté fin octobre. Le Nicaragua compterait au total près de 150 prisonniers politiques, selon les calculs d’une organisation de défense des droits humains.

Plus de 300 morts en 2018

La plupart ont été victimes d’une série de lois votées pendant l’hiver 2020-2021 punissant de lourdes peines les «traîtres à la patrie», accusés de faciliter l’ingérence étrangère dans les affaires du pays. «Liberticides et aberrants», selon Bernard Duterme, spécialiste du Nicaragua et directeur du Centre tricontinental de recherche (Cetri), ces textes ont permis d’interdire plusieurs ONG, dont Oxfam. Ils s’inscrivent dans la continuité de la répression du mouvement social de 2018, qui avait fait plus de 300 morts. Daniel Ortega avait fait tirer dans la foule qui manifestait contre une réforme des retraites d’inspiration néolibérale et pour le départ du couple dictatorial. L’ONG Amnesty International avait dénoncé des «crimes contre l’humanité».

Aujourd’hui, l’affaire électorale semble tellement entendue que l’opposition muselée boudera le scrutin. «Nous appelons les citoyens à ne pas voter parce qu’il n’y a pas de candidat de l’opposition et parce qu’il n’y a aucune garantie que leur vote sera respecté. Les élections sont illégitimes», explique Juan Diego Barberena, membre du Conseil politique de l’Union nationale bleue et blanche (Unab), une coalition d’organisations issues de la société civile. Le 25 octobre, plusieurs opposants en exil au Costa Rica, pays frontalier où au moins 100 000 Nicaraguayens ont trouvé refuge, ont diffusé un clip musical invitant les citoyens à boycotter les élections. On y voit plusieurs personnes déambuler dans la rue, masque anti-Covid sur le nez. Une critique explicite de la politique de Daniel Ortega, à qui il est reproché d’avoir minimisé la gravité de la pandémie.

Mi-août, les locaux du quotidien d’opposition la Prensa ont été perquisitionnés à Managua, la capitale, et le titre a été empêché de paraître. Résultat : plus aucun journal indépendant ne circule aujourd’hui légalement sur le territoire nicaraguayen. «Il n’y a pas de campagne électorale parce qu’il n’y a plus d’espace pour l’expression des voix dissidentes. Tous les gens avec qui nous sommes en contact ont quitté le pays ou s’y terrent. Ils ont tous très peur», déplore Bernard Duterme. Juan Diego Barberena confirme : «Nous n’avons pas la possibilité de nous exprimer librement. Ceux qui le font savent qu’ils peuvent être persécutés et incarcérés.»

Sanctions internationales

Plusieurs organisations de défense des droits humains ont alerté ces dernières semaines sur la dégradation de la situation démocratique au Nicaragua. La dernière en date est la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), qui a publié le 28 octobre un rapport intitulé «Concentration du pouvoir et affaiblissement de l’Etat de droit au Nicaragua». «Le gouvernement cherche à se maintenir au pouvoir par le biais d’élections qui ne sont pas accompagnées des garanties minimales en termes de liberté, d’accès à l’information, de transparence et de pluralité, dans un contexte de fermeture de tous les espaces démocratiques et d’impunité structurelle», dénoncent les auteurs du texte. Contacté par Libération, le directeur de l’ONG Human Rights Watch pour les Amériques, José Miguel Vivanco, a corroboré ces accusations.

Par la voix d’un député du FSLN, le régime sandiniste a proposé l’ouverture d’un «dialogue national» à l’issue des élections. Rares sont ceux qui font confiance à celui que Juan Diego Barberena décrit comme «un tyran qui a assassiné une partie de son peuple». Le jeune militant politique porte son regard vers l’étranger, et notamment l’Union européenne, dont le chef de la diplomatie, Josep Borrell, a parlé du Nicaragua comme «l’une des pires dictatures au monde». A l’instar des Etats-Unis, l’UE a déjà voté des sanctions financières contre plusieurs membres de la famille Ortega. «Pour ouvrir la voie à un processus démocratique, il faut que la communauté internationale refuse de reconnaître le résultat des élections. La situation que nous vivons ne doit pas être vue comme normale par le reste du monde», souffle Juan Diego Barberena.