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Libération
Entretien à la BBC

Bélarus : Loukachenko reconnaît que ses hommes ont «peut-être aidé les migrants à traverser»

Crise migratoire à la frontière entre le Bélarus et la Polognedossier
Dans un rare entretien accordé à la BBC, l’autocrate bélarusse revient sur la crise migratoire, son accession au pouvoir et peine à cacher son exaspération face aux questions du journaliste britannique.
Le président bélarusse, Alexandre Loukachenko, durant l'interview pour la BBC à Minsk, le 19 novembre. (Nikolay Petrov/AP)
publié le 24 novembre 2021 à 17h22

Accusé d’être le principal artisan, l’initiateur de la crise migratoire à la frontière entre le Bélarus et la Pologne, Alexandre Loukachenko, a nié (presque) tout face aux caméras de Steve Rosenberg, correspondant de la BBC à Moscou. Dans un rare entretien d’une demi-heure organisé le 19 novembre dans le palais présidentiel de Minsk, le président contesté s’étonnerait presque qu’on puisse le prendre pour un dictateur et ne cesse d’osciller entre ironie, mauvaise foi et menaces.

D’emblée, il ne cherche pas à réfuter la probable implication de son armée dans la crise migratoire. Il est «absolument possible» que des unités isolées de l’armée bélarusse aient aidé les migrants à traverser la frontière vers la Pologne. Vraisemblable, croit-il bon de suggérer, puisqu’ils désirent tous se rendre en Allemagne. D’ailleurs, Loukachenko le précise, il n’a reçu aucune demande d’asile ou de résidence, donc l’équation est plutôt simple à comprendre : si personne n’a exprimé le souhait de s’installer au Bélarus, à quoi bon les empêcher de passer. En revanche, il évoque son entretien avec la chancelière allemande, Angela Merkel : «Je lui ai demandé de prendre 2 000 migrants en Allemagne. Et moi, j’en prends 5 000 et je les renvoie en Irak, en Syrie, en Iran, en Afghanistan.»

Toutefois, il nie à plusieurs reprises être responsable de l’afflux de migrants massés à sa frontière. «Je ne les ai pas invités ici, et pour être honnête, je ne veux pas qu’ils passent par [le Bélarus]», déclare-t-il, malgré l’insistance de Steve Rosenberg. Le journaliste raconte sa rencontre avec des migrants, qui affirment avoir obtenu un visa des autorités de son pays. Ces informations ne sont pas suffisamment exactes, pour Loukachenko, qui exige «des faits».

Autre sujet, en août 2020, Loukachenko remporte son sixième mandat présidentiel avec 80% des suffrages. L’élection est truquée, selon les Bélarusses qui manifestent massivement et pacifiquement dans la rue. «Comment Angela Merkel s’est-elle adressée à vous ? Monsieur le Président, monsieur Loukachenko ?» demande Steve Rosenberg, réussissant à le désarçonner. «Je vous pose la question, parce que l’Union européenne ne considère pas que vous êtes le président légitime», avant d’enchaîner sur l’intense répression du mouvement d’opposition. «Il n’y a aucun sens dans votre tête Steve, pas plus que dans celle de vos maîtres», répond-il violemment en éludant. Lorsque le journaliste propose de lui montrer des vidéos de la brutalité des forces de l’ordre, Loukachenko finit par admettre, de mauvaise grâce, que sa police s’en est effectivement pris aux manifestants, parce qu’elle-même cible d’attaques.

Plutôt calme et affable au début de l’interview, Loukachenko abandonne quelque peu sa stature présidentielle, se montre de plus en plus agressif et menace même de terminer l’interview. «Ne m’interrompez pas», «Gardez votre souffle», vocifère-t-il. A la différence du journaliste de la BBC, qui garde toute sa quiétude, et ne cesse d’illustrer d’exemples ses questions. L’échange se termine sous tension. «Peut-être, peut-être ai-je fait des erreurs. Mais j’ai toujours agi selon nos lois», conclut-il, avec un regard fulminant.