Rafah, ville à l’extrême sud de la bande de Gaza, à la frontière avec l’Egypte, s’est transformée en un camp de réfugiés géant. Des centaines de milliers de déplacés, fuyant les frappes israéliennes, dans le nord puis le sud de l’enclave palestinienne, ont afflué vers la ville, qui compte habituellement 150 000 habitants. Imane, qui travaille pour une organisation humanitaire à Gaza, décrit à Libération la situation extrêmement difficile des populations auxquelles elle tente de venir en aide.
«Je vis habituellement à Khan Younès, mais j’ai dû venir m’installer avec ma famille à Rafah ces dernières semaines, où je continue mon activité pour venir en aide aux déplacés dans la détresse totale.
«Les arrivées massives de réfugiés, ces derniers jours, ont accentué la concentration dans la ville, rendant la situation très difficile. Il n’y a plus aucun abri en dur. Les rues sont remplies de tentes qui occupent tout l’espace, dans un désordre total. Les gens dorment à même le sol sur des couvertures, alors qu’il commence à faire de plus en plus froid. Les choses se compliquent de jour en jour, y compris pour les réfugiés abrités dans les écoles de l’UNRWA [l’agence de l’ONU d’aide aux réfugiés palestiniens, ndlr] à Rafah.
«Les gens arrivent épuisés par des kilomètres de marche en fuyant les combats, et on a du mal à leur assurer les conditions de vie les plus élémentaires. Il n’y a pas de sanitaires, pas de possibilité de faire cuire la nourriture. Les femmes ramassent du bois pour faire du feu et faire cuire une galette de pain, ou un plat avec les quelques denrées disponibles : du riz, des pâtes ou des lentilles. L’UNRWA ou le HCR [le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés] distribuent des conserves, mais en quantité insuffisante. Car les familles à Gaza comptent en moyenne cinq personnes. Les gens nous réclament des produits et des services de base, difficiles à fournir.
«Une mère de famille de la ville de Gaza, qui vivait dans une belle maison, se retrouve aujourd’hui dans une tente à dormir par terre avec ses enfants. Elle a été déplacée avec l’ensemble de sa famille élargie : ses frères, belles sœurs et leurs enfants. Une vingtaine de personnes au total. Elle ne parvient pas à avoir assez de farine pour faire du pain et pouvoir tous les nourrir. Même chose pour les vêtements. Ils sont partis, sous les bombes, avec les habits qu’ils avaient sur le dos, et nous demandent si on peut les dépanner de quelques paires de chaussettes. Car même ceux qui ont un peu d’argent ne peuvent rien acheter, dans les magasins vides.
Billet
«Une autre famille, originaire de Khan Younès, avait des moyens pour vivre, mais se retrouve totalement démunie. Le père nous explique qu’il n’arrive pas à acheter du pain puisque la plupart des boulangeries sont à l’arrêt, par manque de fioul. Une amie dont le fils lui réclame des biscuits, qu’elle avait l’habitude de lui donner, ne sait comment lui expliquer qu’elle ne peut pas lui en apporter. Les gens n’arrivent plus à se procurer de la nourriture de base, même quand ils ont de quoi payer. Car les magasins d’alimentation sont quasiment vides.
«Le problème de l’eau est encore plus grave. Les gens font la queue pour pouvoir remplir un bidon ou des bouteilles pour boire. L’eau non potable pour la toilette est rare aussi. Une femme me disait qu’elle n’a pas pu laver son fils de trois ans depuis dix jours. Et quand je vois du linge étendu sur des fils entre les tentes, je me demande comment les gens ont fait pour le laver.
«Une de mes voisines à Khan Younès, mère de quatre enfants, m’a supplié de l’aider pour abréger l’attente dans la longue file, où il faut parfois passer une journée entière pour avoir son tour, lors de la distribution de farine par exemple. Certains font la queue pour d’autres, qui peuvent leur donner un peu d’argent. Mais il arrive souvent que les stocks soient épuisés avant que le tour de la famille ne vienne, et qu’elle reparte bredouille, jusqu’au lendemain.
«Un autre ami m’a demandé une couverture qui lui manquait. Mais avec le nombre de déplacés, je ne peux pas faire de faveur ou d’exception. Une collègue, déplacée avec sa famille une première fois du Nord vers Khan Younès, au début de la guerre, se retrouve aujourd’hui à Rafah. Elle m’a demandé d’aider ses parents à partir à leur tour de la zone côtière très bombardée, pour les rejoindre.
«Je travaille avec les équipes jour et nuit pour assurer ce qu’on peut à toutes ces populations, mais j’ai un terrible sentiment d’impuissance et de frustration de ne pouvoir répondre à tant de besoins.»