C’est un «non» en caractères énormes, qui barre la une de Libération. Nous sommes le 10 mars 1986 et quatre membres d’une équipe d’Antenne 2 (Philippe Rochot, Georges Hansen, Aurel Cornéa et Jean-Louis Normandin) viennent d’être pris en otages à Beyrouth, par le Jihad islamique, qui détient déjà, depuis un an, quatre autres Français. L’enlèvement de journalistes, et le décompte angoissant des jours de détention qui l’accompagne, s’invite dans les journaux.
Œuvrer pour la libération de ses journalistes, c’est un combat que chaque rédaction redoute de devoir mener. A chaque retour d’un reporter de guerre, un soulagement non-dit étreint les collègues de bureau. Chacun sait pourtant que le lendemain, un autre partira, tant il est fondamental de ne jamais laisser les conflits se dérouler à huis clos.
Se mobiliser pour la libération des otages, se tenir aux côtés des proches et des collègues, réaffirmer les principes fondamentaux de la liberté de la presse : Libération a toujours été au premier rang quand un journaliste était enlevé. Mais quand il s’agit de l’une des siennes, de l’un des siens, l’émotion, la culpabilité se mêlent mille fois plus encore à l’inquiétude.
Ce 5 janvier 2005, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, détenus pendant quatre mois en Irak, n’étaient de retour que depuis quelques jours quand Florence Aubenas et son fixeur, Hussein Hanoun, sont enlevés à Bagdad. C’est le premier de 157 jours d’une interminable attente, où l’incrédulité cède vite la place à l’énergie folle qu’il faut déployer pour les faire sortir de là. «Pour réussir cette libération, notera Serge July dans son éditorial du 13 juin, après la fin de la captivité, il aura fallu la résistance de Florence et Hussein […] et la formidable mobilisation de tous ceux qui savaient qu’ils étaient partis pour nous et qu’ils reviendraient aussi grâce à nous. Les uns et les autres ont fait ce qu’ils devaient, là où ils étaient. Certains, et ils sont nombreux, ont fait plus encore.» Le patron de Libé aura passé cinq mois à se démener à temps plein. Une cellule de suivi sera mise en place au sein du journal, avec l’association Reporters sans frontières. Et, logé à la mairie du Xe arrondissement, un comité de soutien infatigable n’aura de cesse de raviver jour après jour la flamme de l’espoir. On peinerait à recenser toutes les initiatives, des soirées de soutien aux autocollants, des portraits géants place de la République aux mille fanfares du 12 mars, des mobilisations d’artistes aux rassemblements silencieux. Il y eut des hauts et des bas, le rocambolesque épisode Didier Julia (député UMP sulfureux auquel ses ravisseurs ont contraint Florence Aubenas à adresser un appel à l’aide en vidéo), un voyage de Serge July à Bagdad, un spectacle à l’Olympia, les faux espoirs d’avril, puis de mai, et chaque jour, en une du journal, les photos de Florence et Hussein. Elles y figureront de nouveau le 13 juin. En pleine page, cette fois, barrées d’un grand «Merci» qui célèbre leur libération.
Chacun espérait ne pas avoir à revivre ça. Mais les prises d’otages n’ont pas cessé et en juin 2013, l’annonce de l’enlèvement de Didier François en Syrie par l’Etat islamique résonne douloureusement. S’il travaille alors pour Europe 1, Didier François a, durant plus de quinze ans, été reporter de guerre à Libération et sa captivité, pour la rédaction, est aussi vécue comme celle de l’un des siens. Il sera libéré après onze mois de détention, en même temps qu’Edouard Elias, Nicolas Hénin et Pierre Torres.
Que dire alors d’Olivier Dubois ? Longtemps, nous avons eu peur de devoir faire part ici une nouvelle fois de notre attente, de nos angoisses. Et puis, la bonne nouvelle est enfin arrivée : enlevé à Gao (Mali), le 8 avril 2021, Olivier Dubois sera resté presque deux ans aux mains du Jnim (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) avant d’être libéré, le 20 mars 2023. Jusqu’à sa capture, Olivier était l’œil et la plume de Libération, afin d’aider les lecteurs à décrypter l’insaisissable Sahel, traversé de courants et de mouvances complexes. Pendant des mois, sans relâche, nous avions repris notre indispensable travail de mobilisation pour parler et faire parler de lui, pour le faire revenir parmi nous. En affichant sa photo sur les bâtiments, en organisant des courses de l’espoir, en multipliant les intiatives… Nous l’attendions. Nous l’espérions. Il est là.