Moins de deux semaines avant de prêter serment, la liste des batailles du milliardaire républicain, qui prend ses fonctions à la Maison Blanche le 20 janvier, s’allonge encore. En conférence de presse mardi, le républicain, d’un ton provocateur et dans une diatribe décousue, a répété ses ambitions de contrôler le Groenland et le canal de Panama, par la force si besoin. Mais de Paris à Berlin, en passant par le Danemark, les responsables européens ont rembarré Donald Trump, le rappelant au respect des frontières internationales. La Première ministre danoise doit d’ailleurs réunir ce jeudi 9 janvier au soir les chefs de parti après le nouveau dérapage contrôlé de Trump. «Je pense qu’il faut prendre Trump très au sérieux, mais pas nécessairement au pied de la lettre, a déclaré le chef de la diplomatie danoise. Nous n’avons aucunement l’ambition d’intensifier une guerre des mots avec un président qui va accéder au bureau ovale.»
De façon inhabituelle, le chancelier allemand, Olaf Scholz, a convoqué la presse pour une brève allocution à Berlin faisant part d’une «certaine incompréhension» des dirigeants européens face aux affirmations de Donald Trump. Il a rappelé au futur président, sans le nommer, que «le principe de l’inviolabilité des frontières s’applique à tout pays, qu’il soit situé à l’est ou à l’ouest». «Tout Etat doit s’y conformer, qu’il s’agisse d’un petit pays, d’un Etat très puissant ou d’un Etat très puissant», a ajouté le dirigeant allemand. Rappelant qu’il s’agissait d’un principe du droit fondamental et d’un élément central «de ce que nous appelons les valeurs occidentales», ce dernier a martelé qu’il «ne peut et ne doit pas être remis en question».
Auparavant, à Paris, le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, avait affirmé au micro de France Inter qu’il n’était «pas question» que l’Union européenne laisse des pays «s’en prendre à ses frontières souveraines». La porte-parole du gouvernement français, Sophie Primas, a dénoncé pour sa part, «une forme d’impérialisme». «Plus que jamais, nous devons, avec nos partenaires européens, être conscients, sortir d’une forme de naïveté, se prémunir, se réarmer», a-t-elle mis en garde.
A Bruxelles, l’Union européenne a qualifié les menaces d’annexion du Groenland par Donald Trump d’extrêmement «hypothétiques». La souveraineté et l’intégrité territoriale du Groenland doivent être respectées, a martelé ce jeudi 9 janvier la cheffe de la diplomatie de l’UE, Kaja Kallas. «Le Groenland fait partie du Danemark […] nous devons respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté du Groenland», a-t-elle souligné, interrogée par quelques journalistes à Bruxelles.
Les Vingt-Sept Etats membres sont d’autant plus concernés que l’article 42.7 du traité de Lisbonne, clause de défense mutuelle entre les Etats membres de l’UE, s’applique au Groenland, territoire autonome du Danemark, comme l’a rappelé le porte-parole de la Commission européenne, Paula Pinho.
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Moscou a également réagi ce jeudi aux propos du président élu américain, le Groenland étant situé dans l’Arctique, où la Russie est un acteur majeur. «L’Arctique est une zone de nos intérêts nationaux, nous y sommes présents et continuerons de l’être. Nous souhaitons maintenir la paix et la stabilité dans cette région et sommes prêts à interagir avec toutes les parties pour cela», a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. «Nous suivons de très près le développement assez dramatique de la situation qui, Dieu merci, reste jusqu’à présent au niveau des déclarations», a-t-il poursuivi.
Aussi, profitant des réactions des Européens, le diplomate russe, a tenté de tracer un parallèle avec les quatre régions ukrainiennes annexées par Moscou en 2022 à l’issue de simulacres de référendums non reconnus à l’étranger, y compris par l’écrasante majorité des alliés de la Russie. «Si l’on parle de la nécessité de prendre en compte l’opinion des gens, peut-être faut-il encore se souvenir de celle des habitants des quatre nouvelles régions de la Fédération de Russie. Et faire preuve du même respect pour l’avis de la population» du Groenland, a-t-il déclaré.
Le secrétaire d’Etat américain, encore sous présidence Biden pendant quelques jours, a assurément rejeté mercredi l’idée d’annexer le Groenland, affirmant qu’une telle intervention militaire n’aurait pas lieu. «L’idée exprimée à propos du Groenland n’est évidemment pas bonne, mais peut-être plus important encore, cela ne va pas se produire», a déclaré Antony Blinken lors d’une conférence de presse à Paris. Estimant que les Etats-Unis sont «plus forts», et «plus efficaces avec [leurs] alliés», en l’occurrence européens, il a exhorté à «ne pas faire des choses qui pourraient les aliéner».
L’Italie de Giorgia Meloni, alliée d’extrême droite de Donald trump, a quant à elle affirmé ce jeudi que Washington n’«annexera pas» le Groenland ni le canal de Panama.
Un appel à garder la tête froide
Par ailleurs, Londres se démarque de ses voisins européens, refusant pour sa part de «condamner» les propos de son «plus proche allié». Le chef de la diplomatie britannique, David Lammy, a ainsi déclaré sur la chaîne Sky News : «Je n’ai pas pour but de condamner notre plus proche allié», tout en assurant sur la BBC que ces annexions évoquées par Trump n’allaient «pas se produire». «J’essaie d’interpréter ce qu’il y a derrière» ces déclarations, a-t-il dit, ajoutant que le président élu «soulève des inquiétudes à propos de la Russie et la Chine dans l’Arctique, qui concernent la sécurité économique nationale» des Etats-Unis, et qui sont «des questions légitimes». «Nous savons depuis le premier mandat de Donald Trump que l’intensité de son discours et l’imprévisibilité de ce qu’il dit peuvent parfois être déstabilisantes», a-t-il reconnu.
Le Royaume du Danemark, qui rassemble Danemark continental, Groenland et îles Féroé, le principal intéressé, s’est dit «ouvert à un dialogue avec les Américains sur la manière dont nous pouvons coopérer, peut-être même plus étroitement que nous ne le faisons déjà», a déclaré de manière très diplomatique Lars Løkke Rasmussen, ministre des Affaires étrangères du Danemark, sans donner davantage de précisions. Le chef de la diplomatie danoise a par ailleurs noté, pendant une conférence de presse, que la fonte des glaces et l’ouverture de nouvelles voies maritimes arctiques conduisaient à une «rivalité croissante entre les grandes puissances» dans la région, avec la présence à la fois de la Chine et de la Russie. «Il est tout à fait légitime que les Etats-Unis et l’Otan – et donc aussi le royaume du Danemark – en soient conscients», a-t-il ajouté. Ce dernier a tout de même appelé au calme, précisant qu’il ne «faut pas forcément dire tout haut tout ce que l’on pense». «J’essaie de travailler en fonction des réalités et je pense que nous devrions tous nous rendre service en ralentissant un peu notre rythme cardiaque», a-t-il ajouté.
Le Groenland, qui cherche à gagner en souveraineté mais reste financièrement dépendant de Copenhague, attise les convoitises pour ses ressources naturelles – bien que la prospection pétrolière et l’exploitation de l’uranium y soient interdites – et pour son importance géostratégique, les Etats-Unis y ayant déjà une base militaire.
Mis à jour à 14h03 avec l’ajout d’une réunion des chefs de partis au Danemark et d’une réaction du chef de la diplomatie danoise.