Directeur du plaidoyer du WWF France, Pierre Cannet revient pour Libération sur l’espoir suscité par l’accord signé par plus de 100 pays mardi à la COP 26 de Glasgow, pour limiter la déforestation d’ici 2030.
L’accord international pour lutter contre la déforestation représente-t-il «trop peu, trop tard» ou marque-t-il un déclic salutaire ?
Les Etats se sont engagés il y a six ans déjà à mettre un terme à la déforestation d’ici 2020. C’était le sens de l’Objectif de développement durable 15.2 de l’ONU. Aujourd’hui, la déforestation court toujours, avec un poids important dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre (12 % d’après les scientifiques du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le Giec) et un rôle de premier plan dans l’effondrement de la biodiversité. La déclaration de Glasgow marque donc, en creux, un constat d’échec, mais elle a le mérite de remobiliser les Etats autour de l’urgence à agir sur ce front pour préserver la biodiversité et limiter le réchauffement climatique. Ils doivent maintenant passer à l’action, avec une loi forte pour garantir que les produits – aliments, cosmétiques, carburant – consommés en Europe ne détruisent pas des écosystèmes naturels à l’étranger.
Selon votre dernier rapport, 43 millions d’hectares de forêts, «l’équivalent du Maroc», ont disparu dans 24 fronts de déforestation ces dernières années. Comment enrayer cette course vers le vide ?
En soixante ans, la moitié des forêts tropicales humides de la planète ont été éradiquées. Ces vingt dernières années, nous avons perdu chaque année l’équivalent de la superficie du Rwanda ou de la Belgique de forêts tropicales. C’est d’autant plus problématique que les forêts tropicales humides hébergent les deux tiers de la biodiversité terrestre de la planète. Le premier levier d’action incombe aux gouvernements, quelle que soit leur position dans les chaînes de valeur du commerce international. Dans les régions fortement productrices en agriculture intensive, les solutions connues et efficaces doivent être mises en œuvre : gérer les forêts durablement, restaurer les terres dégradées, protéger les zones critiques pour la biodiversité, reconnaître et garantir les droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales. Dans les régions consommatrices, comme l’Union européenne, qui importent des produits liés à la déforestation, il faut d’une part transformer nos systèmes économiques et alimentaires afin de s’assurer que notre consommation ne repose plus sur la destruction des forêts, savanes et prairies des pays du Sud, et d’autre part soutenir les pays producteurs dans la transition vers des pratiques durables.
Voir le Brésil, la Russie ou l’Indonésie endosser ce plan est certes positif, mais ne jouent-ils pas aux pompiers pyromanes ? Faut-il les indemniser pour qu’ils protègent ce bien public commun ?
Il est indispensable d’avoir les pays forestiers à nos côtés dans cette bataille. Malheureusement, il y a trop souvent un décalage entre les engagements pris dans les instances de négociations internationales et les actions mises en œuvre à l’échelle nationale. Le Brésil par exemple bat des records de déforestation et il est difficile de croire à une prise de conscience soudaine. Les pays européens peuvent agir pour s’assurer que ces engagements soient respectés, en empêchant les produits liés à la déforestation d’accéder au marché européen.
L’expansion de l’agriculture commerciale est le premier vecteur de la déforestation. Vous militez pour que l’UE, deuxième «importateur» de déforestation tropicale, limite la vente de soja ou de l’huile de palme. Des chances de succès ?
Il s’agit de garantir que ces produits n’ont pas contribué à la déforestation. Aujourd’hui, une entreprise peut en toute légalité mettre sur le marché européen du soja issu d’une zone déforestée. Résultat : notre consommation encourage la destruction des forêts indonésiennes, des savanes brésiliennes ou des prairies américaines.
Cela passe par quoi ?
Il existe suffisamment de terres dégradées [qui ont déjà été déforestées, ndlr] pour répondre à la demande aujourd’hui. Près d’1,2 million de citoyens européens ont demandé une législation forte lors de la consultation publique que nous organisons. Les grandes entreprises européennes sont également mobilisées et ont signé une déclaration en mai pour soutenir ce projet. Tout est désormais dans les mains des responsables européens et notamment français. En effet, la législation sera présentée le 17 novembre par la Commission européenne et sera ensuite débattue sous la présidence de la France. Paris a donc l’opportunité de transformer ces promesses en actions concrètes.