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Libération
Rétro 2022

Des manifestations en Iran au retour de Lula, tour du monde d’une année chaotique

Corée du Nord, l'escaladedossier
IVG remis en cause aux Etats-Unis, post-fascistes en Italie, attaque de Salman Rushdie… Au-delà de l’Ukraine, 2022 sur tous les continents.
Manifestation en Iran, le 26 octobre, à Saqez, la ville de Mahsa Amini, tuée pour ne pas avoir porté correctement son voile. (-/AFP)
publié le 23 décembre 2022 à 20h15

L’Iran se soulève

16 septembre. Morte pour ne pas avoir porté correctement son voile. Le décès de Mahsa Amini, une Kurde de 22 ans, a embrasé la République islamique. Alors qu’elle est en voyage à Téhéran, ce 16 septembre, elle est arrêtée par la police des mœurs, chargée de contrôler le respect du code vestimentaire, puis conduite en garde à vue. Elle décédera à l’hôpital trois jours plus tard après avoir été battue par des agents de police, selon des témoins. Pour les Iraniennes et Iraniens, c’est l’étincelle. Des manifestations anti-régime éclatent dans les villes du pays, dont Téhéran. Malgré la censure, des images montrent des femmes en train de brûler leur hijab, des hommes renverser les turbans des mollahs. Le slogan «Femme, vie, liberté» résonne dans les rues et les universités. La révolte est en marche. La répression aussi. Plus de 470 personnes, dont 63 enfants, ont été tuées depuis le début du mouvement populaire, selon l’ONG Iran Human Rights. Plusieurs dizaines d’individus ont été condamnés à mort. Deux d’entre eux, âgés de seulement 23 ans, ont été exécutés. L’annonce de la dissolution de la police des mœurs n’a pas réussi à calmer la colère. Reste à savoir si le soulèvement se transformera en véritable révolution.

IVG aux Etats-Unis, la grande régression

24 juin. A l’issue d’une patiente croisade réactionnaire, la Cour suprême des Etats-Unis a annulé l’arrêt Roe v. Wade qui garantissait depuis 1973 le droit constitutionnel des femmes à l’avortement. La plus haute instance judiciaire du pays, dominée par une majorité de juges conservateurs, dont trois (sur neuf) installés par l’ex-président Donald Trump qui en avait fait la promesse à son électorat chrétien, a entériné une régression d’un demi-siècle, laissant aux Etats fédérés les mains libres pour protéger, ou interdire l’IVG. Dans la foulée, treize Etats, du Texas à la Virginie-Occidentale, ont rendu l’avortement illégal, même en cas de viol ou d’inceste. Au terme de procédures judiciaires, l’avortement devrait in fine être interdit, ou très limité, dans la moitié des Etats américains. Six mois après la décision de la cour, au moins 66 cliniques ont dû arrêter de pratiquer des avortements à travers le pays, et 26 ont mis la clé sous la porte, selon le Guttmacher Institute. Coupant l’accès non seulement à l’IVG – alors qu’une Américaine sur quatre y aura recours avant l’âge de 45 ans –, mais également à d’autres services de santé essentiels.

Shinzo Abe, abattu en plein discours

8 juillet. Un coup de tonnerre dans un pays épargné par la violence politique depuis des décennies. Le 8 juillet, l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe est abattu de deux balles dans le cou à Nara, dans le centre du pays, alors qu’il prononçait un discours de soutien à un candidat du Parti libéral démocrate aux sénatoriales du 10 juillet. Le tireur, Tetsuya Yamagami, dit avoir agi pour venger sa famille, ruinée, après que sa mère eut fait des dons conséquents à l’Eglise de l’Unification, plus connue sous le nom de secte Moon. Tetsuya Yamagami, pour lequel une expertise psychiatrique a été lancée, pensait qu’Abe était proche de la secte. La mort à 67 ans de ce Premier ministre à la longévité record (au pouvoir en 2006-2007 puis de 2012 à 2020) et grand baron d’une droite conservatrice et nationaliste a saisi l’archipel. Et lancé une série d’enquêtes sur les liens étroits entre la secte Moon et la classe politique.

Corée du Nord, les missiles de la surenchère

Depuis sa fondation en 1953, jamais la dynastie des Kim n’avait procédé à un tel feu d’artifice. Tirs d’engins courte et moyenne portée, d’un missile balistique intercontinental (ICBM), déploiement d’avions de chasse, Pyongyang s’est rappelé aux bons souvenirs de ses voisins et des Américains avec lesquels il négociait il y a encore trois ans. Le régime de Kim Jong-un est sorti de sa léthargie post-Covid au moment où la guerre faisait rage en Ukraine et alors que le président progressiste Moon Jae-in passait le témoin au conservateur Yoon Seok-youl à la tête de la Corée du Sud. A plusieurs reprises, dont une fois en compagnie de sa fille, la propagande belliqueuse du Nord a campé Kim Jong-un en chef de guerre pour vanter «la plus puissante force stratégique du monde». Et pour bien faire comprendre que son statut d’Etat nucléaire était désormais «irréversible», avec des préparatifs pour un septième essai que Séoul et Washington annoncent comme imminent depuis le printemps.

Taiwan, l’escalade entre Pékin et Washington

2 août. C’était le prétexte qui manquait à Pékin pour remettre la pression sur la démocratie taïwanaise, pourtant déjà bien exposée aux menaces chinoises. L’arrivée, le 2 août à Taipei, de la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, a suscité la fureur du régime de Xi Jinping qui, depuis 1949, considère l’Etat insulaire comme une province à conquérir, si nécessaire par la force. L’Armée populaire de libération s’est donc lancée dans une série d’entraînements militaires d’ampleur tout autour de la principale île, en tirant notamment une dizaine de missiles dont quatre ont survolé l’archipel. Face à cette nouvelle crise provoquée par Pékin dans le détroit de Formose, Joe Biden s’est engagé publiquement, et à plusieurs reprises, à défendre Taïwan si la Chine l’attaquait. Taipei, qui suit de très près le conflit en Ukraine, a fait passer un budget de défense record, en hausse de 14 %. Avant de préparer son armée à une guerre asymétrique avec son très puissant voisin.

Meloni : l’Italie à l’extrême droite dans sa botte

25 septembre. «L’Italie nous a choisis et nous ne la trahirons pas.» Presque cent ans jour pour jour après la Marche sur Rome de Benito Mussolini, les électeurs ont confié les rênes du pouvoir à Giorgia Meloni, présidente de Fratelli d’Italia. Ce parti issu de la tradition fasciste, qui a remporté 26 % des suffrages le 25 septembre, prône un retour à «l’orgueil national», milite pour la restriction du droit à l’IVG, la défense de la «famille naturelle» et contre l’immigration de masse. Meloni, qui entend se faire appeler «Premier ministre», s’est positionnée en faveur de la construction européenne, de l’Otan et a affirmé son soutien à l’Ukraine, à la différence de ses alliés de la Lega de Salvini et Forza Italia de Berlusconi, deux partis ouvertement pro-Poutine. Son refus d’accueillir les migrants de l’Ocean Viking a causé dès novembre des tensions avec la France, où le navire avait finalement été accueilli.

Au Tigré, une guerre à huis clos

Cette année, la région du Tigré, dans le nord-est de l’Ethiopie, a eu le triste privilège d’être le conflit le plus meurtrier du monde. Depuis le début de la guerre, à l’été 2020, ce sont ainsi entre 500 000 et 600 000 Tigréens qui auraient perdu la vie. En raison des combats acharnés qui opposent l’armée fédérale éthiopienne, alliée à celle venue de l’Erythée voisine, aux forces rebelles tigréennes. Mais aussi à cause des exactions commises contre les populations locales. Lesquelles sont également affamées et privées de médicaments, suite au blocus total de la région imposé par le gouvernement d’Addis-Abeba. Pourtant deux espoirs fragiles auront marqué 2022 : une trêve humanitaire décrétée en mars, qui se révélera illusoire, et un accord de cessez-le-feu conclu le 2 novembre. Mais malgré une reprise partielle de l’aide humanitaire, les violences continuent dans les zones sous contrôle des forces fédérales et érythréennes. Le 7 décembre, la capitale Mekele a été reconnectée au réseau électrique national mais le Tigré reste une zone interdite, où se déroule une guerre invisible.

Musk capture l’oiseau Twitter

27 octobre. La mise en cage est finalement actée fin octobre, moyennant 44 milliards de dollars. Après une longue – très longue – saga commencée au printemps, le multimilliardaire Elon Musk rachète le réseau social à l’oiseau bleu, Twitter. Et à peine couronné roi, le patron de Tesla, désirant faire du site «la plateforme de la liberté d’expression», vire toute une brochette de dirigeants, parmi lesquels le patron, Parag Agrawal. Allant toujours plus loin dans la surenchère, le libertarien licencie une semaine plus tard 50 % des 7 500 employés de la boîte, portant un sacré coup aux équipes de modération. Des centaines d’autres salariés s’envoleront dans les semaines suivantes, après un mail menaçant du fondateur de SpaceX. «Seule une performance exceptionnelle vaudra une note suffisante», écrit-il. Quant au réseau, que devient-il depuis ? Entre la certification rendue accessible à hauteur de 8 dollars par mois, la réouverture du compte de Donald Trump (pour l’instant toujours silencieux), l’arrêt de la lutte contre les fake news sur le Covid-19 et la fuite des annonceurs, le chant de l’oiseau bleu est désormais bien dissonant.

Lula, figure de proue d’une Amérique du Sud qui vire au rose

30 octobre. Dans quelques jours, les cinq premières économies d’Amérique latine seront gérées par des régimes de gauche. L’Argentine et le Mexique ont été rejoints cette année par le Chili du jeune Gabriel Boric, la Colombie, qui a élu un président de gauche, Gustavo Petro, pour la première fois depuis son indépendance en 1810, et le Brésil avec le retour de l’indestructible Lula, élu le 30 octobre. Cette vague rose est bien différente de celle du début des années 2000, où le «socialisme du XXIe siècle» théorisé par le Vénézuélien Hugo Chávez avait le vent en poupe. Les nouveaux dirigeants incarnent un socialisme démocratique et pragmatique, éloigné du modèle autoritaire voire dictatorial qui survit à Cuba ou au Nicaragua, et vers lequel penche le Venezuela. Les conséquences économiques de la pandémie ont porté les volontés de renouvellement. Mais de redoutables défis attendent les nouveaux dirigeants : la marge de manœuvre budgétaire sera étroite pour développer des politiques de redistribution et de justice sociale dont le sous-continent, resté très inégalitaire, a besoin.

Uvalde, carnage à l’école

24 mai. C’est une voix chuchotante de gamine qui supplie : «Je suis dans la classe 112. Venez vite s’il vous plaît, il y a plein de corps morts.» L’opératrice au bout du fil demande de rester en ligne, et de dire aux victimes blessées de ne plus faire de bruit, tandis qu’elle passe le message aux agents déjà massés à la Robb Elementary School d’Uvalde depuis quarante minutes que les coups de feu ont commencé. Et puis rien. Il s’en écoulera presque quarante de plus avant que les 376 membres des forces de l’ordre présents n’enfoncent une porte qui n’avait jamais été verrouillée et abattent le tireur, après que celui-ci eut tué 19 enfants et deux enseignantes. La tragédie de la petite ville texane, survenue le 24 mai, fut la plus meurtrière des quelque 630 «fusillades de masses» recensées aux Etats-Unis en 2022. Mais tandis que les registres se remplissent de ces carnages dont la litanie scande la vie d’une Amérique trop éprise de ses armes pour y faire quelque chose, Uvalde restera surtout comme l’histoire de ces soixante-dix-sept minutes d’attentisme coupable sur le seuil de l’horreur à l’œuvre.

Salman Rushdie attaqué, 33 ans après

12 août. A 75 ans, Salman Rushdie ne faisait plus grand cas de la menace de mort qui planait sur sa personne depuis 1989 et la fatwa lancée contre lui depuis l’Iran par l’ayatollah Khomeiny, sur la base d’un roman, les Versets sataniques que le Guide suprême n’avait pas lu. L’écrivain d’origine indienne, devenu Américain et une figure ubique de la mondanité new-yorkaise, était, selon ses propres mots, bien trop occupé à «vivre sa vie». Si bien qu’il s’était rendu sans garde rapprochée à Chautauqua, aux confins ouest de l’Etat de New York, pour prendre part à un dialogue sur l’Amérique comme «refuge des écrivains et artistes en exil». Aussitôt sur scène, il est attaqué au couteau par un islamiste surgi de l’assistance. L’intervention des membres les moins pétrifiés du public l’aura alors sans doute sauvé, et si Rushdie a survécu à ses blessures, l’agression lui aura coûté l’usage d’un œil et d’une main – mais pas, selon ses proches, son sens de l’humour. Il poursuit, depuis, sa convalescence, quelque part à New York, vivant mais tragiquement rendu à une existence d’ombre et d’entraves.

Covid : Pékin verrouille puis lâche du lest

Un grand tête-à-queue. Presque trois ans après l’instauration des confinements généralisés, des tests massifs obligatoires, des quarantaines systématiques et de la stricte application de la politique «zéro Covid» qui a embastillé des centaines de millions de Chinois (notamment à Shanghai dont les 25 millions d’habitants ont subi au printemps un confinement de type totalitaire), les autorités ont, début décembre, radicalement assoupli leurs restrictions arbitraires. Depuis quinze jours, Xi Jinping – fraîchement reconduit pour un troisième mandat à la tête du pays – affrontait une contestation, sinon une colère, inédite depuis 1989. Et constatait les effets d’une économie asphyxiée par les ralentissements en série. Pour «être en phase avec les temps qui changent», selon la nouvelle doxa, Pékin a donc viré sa cuti. Même si les contaminations flambent, que la vaccination est à la peine et que les Chinois s’interrogent sur cette ouverture tous azimuts qui n’est pas sans risque.

Royaume-Uni, l’autre «annus horribilis»

Le Royaume-Uni a passé une sale année, une année où tout a craqué, de tous les côtés, où le pays, réputé pour son pragmatisme, a semblé perdre la tête. La politique et, plus précisément, le Parti conservateur au pouvoir depuis douze ans, a plongé dans un abîme de scandales qui ont conduit en juillet à la démission de Boris Johnson. Sa successeure, Liz Truss, a battu un record de brièveté à Downing Street avec 46 petits jours pendant lesquels elle aura réussi à crasher l’économie du pays déjà mal en point depuis un Brexit dont les bénéfices économiques tant vantés et promis ne se concrétisent décidément toujours pas. Rishi Sunak est devenu en octobre le cinquième Premier ministre britannique en six ans, promettant de rétablir le calme. Sauf qu’avec les prix de l’énergie qui s’envolent (bien plus que dans le reste de l’Europe) et une inflation qui frôle les 11 %, le pays fait face à des grèves inédites, dans absolument tous les secteurs. Ça craque vraiment de partout. Même la reine Elizabeth II a fini par tirer sa révérence, à 96 ans et après soixante-dix ans de règne, le 8 septembre. Ses funérailles auront permis au pays de retrouver, très brièvement, un semblant d’unité dans le chagrin et le respect. Mais quatre mois après son décès, ça craque aussi au sein de la famille royale, alors que la profonde brouille familiale entre d’un côté le prince Harry et son épouse Meghan et de l’autre le nouveau roi Charles III et le prince William, frère de Harry et héritier du trône, refait surface sur Netflix.

Olivier Dubois, un deuxième Noël sans lui

C’est son deuxième Noël dans le désert. Son deuxième Noël sans les yeux émerveillés de ses deux enfants face aux cadeaux à déballer. Son vingtième mois loin d’eux, de sa compagne, de sa famille, de ses amis. Olivier Dubois est toujours otage, seul journaliste français en captivité dans le monde. Le collaborateur de Libération, du Point et de Jeune Afrique, correspondant à Bamako, a été enlevé le 8 avril 2021 par le groupe jihadiste du Jnim, affilié à Al-Qaeda, alors qu’il se trouvait à Gao, dans le nord du Mali. Depuis, c’est le silence. Seules deux brèves vidéos ont rassuré, un instant seulement, le montrant vivant, apparemment en bonne santé. La dernière date de mars 2022. Depuis, c’est le silence. Rien n’a filtré, de sa situation, ou des éventuelles négociations avec ses ravisseurs. Rien. La France assure travailler sans relâche à sa libération. Mais le temps s’étire, trop lentement. La mobilisation se poursuit, chez ses proches, ses amis, ses collègues et confrères. L’espérance d’un miracle – c’est de saison – ne faiblit pas. Nous attendons tous, ardemment, sa libération.