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Elon Musk, Edward Snowden, la diplomatie russe : après l’arrestation de Pavel Dourov, une pluie de réactions

Depuis l’arrestation du patron de Telegram, samedi 24 août, nombreux sont ceux à condamner la France. Ils sont plus rares à admettre que la messagerie cryptée a pu se montrer problématique.
Des avions en papier, référence au logo de la société de messagerie instantanée Telegram, posés devant l'ambassade de France à Moscou en soutien à son patron Pavel Dourov, dimanche 25 août. (HANDOUT/AFP)
publié le 27 août 2024 à 19h27

Question de sécurité ou liberté d’expression bafouée ? Pavel Dourov, milliardaire russe à la tête de la messagerie Telegram, a été arrêté samedi 24 août à l’aéroport du Bourget. L’homme était recherché dans le cadre de douze infractions relevant de la criminalité organisée. Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, s’est un temps montré prudent. «Attendons que les charges soient annoncées – si elles sont annoncées», estimait-il d’abord auprès de journalistes. Mais quand des faits de détention et de diffusion de l’image d’un mineur présentant un caractère pédopornographique, d’infraction à la législation sur les stupéfiants ou encore d’escroquerie en bande organisée ont été évoqués par la procureure de Paris lundi, le représentant russe est sorti de sa réserve. «Les accusations avancées sont très graves et elles demandent des preuves tout aussi solides, a alors fustigé Dmitri Peskov à la presse. Sinon, il sera évident qu’il s’agit d’une tentative de restriction de la liberté de communication […] et même d’intimidation directe à l’encontre du patron d’une grande entreprise.»

«Ce n’est en rien une décision politique»

Et la colère s’est fait entendre jusque dans l’Hexagone : l’ambassade russe à Paris accusait déjà dimanche les autorités françaises de «refuser de coopérer» avec Moscou après l’arrestation en France du patron de Telegram, qui possède les nationalités française et russe. «Nous avons immédiatement demandé aux autorités françaises d’expliquer les raisons de cette détention et avons exigé que ses droits soient protégés et qu’un accès consulaire lui soit accordé», a poursuivi l’ambassade russe à Paris, citée par l’agence de presse Ria Novosti, avant que les Emirats arabes unis (dont il est également ressortissant) ne fassent à leur tour cette même demande.

«L’arrestation du président de Telegram sur le territoire français a eu lieu dans le cadre d’une enquête judiciaire en cours. Ce n’est en rien une décision politique. Il revient aux juges de statuer», a justifié Emmanuel Macron sur X, répondant à des accusations russes. Vladislav Davankov, vice-président de la Douma, estimait notamment sur Telegram que Dourov devait «être sauvé maintenant», avant de s’inquiéter : «Son arrestation pourrait servir à accéder aux informations personnelles des utilisateurs de Telegram. Cela ne doit pas être permis.»

Lundi, le président de la Douma, Viatcheslav Volodine, est même allé jusqu’à déclarer – sans preuve – que Washington était à l’initiative de l’arrestation. Les Etats-Unis auraient ainsi souhaité prendre le contrôle de la messagerie du milliardaire. «Telegram est l’une des rares et en même temps l’une des plus grandes plateformes Internet sur lesquelles les USA n’ont aucune influence, a développé Volodin. A la veille de l’élection présidentielle américaine, il est important pour Joe Biden de prendre [son] contrôle.»

Le même jour, des dizaines d’avions en papier, en référence au logo de la société de messagerie instantanée Telegram, ont été posées devant l’ambassade de France, dans le centre de Moscou, en soutien à Pavel Dourov.

Lanceur d’alerte et libertaire de la tech

La Russie n’est pas la seule à s’inquiéter d’un potentiel abus de pouvoir de la France. Certains y voient même une procédure liberticide. Le lanceur d’alerte Edward Snowden a notamment estimé que «l’arrestation de Dourov est une atteinte aux droits fondamentaux de l’homme que sont les libertés d’expression et d’association». Et d’ajouter : «Je suis surpris et profondément attristé que Macron se soit abaissé au point de prendre des otages pour accéder à des communications privées. Cela rabaisse non seulement la France, mais le monde entier.»

Toujours dans les bons coups, Elon Musk (autoproclamé défenseur de la liberté d’expression, pour le meilleur et souvent pour le pire), a sobrement publié «#FreePavel» (libérez Pavel) sur son réseau social, X – avant de multiplier les sorties plus fantasques sur le sujet. Le milliardaire s’est par exemple étonné que Mark Zuckerberg, à la tête de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), n’ait pas connu un sort similaire à celui du patron de Telegram.

Vitalik Buterin, personnalité suivie par plus de 5 millions d’utilisateurs et connu dans le milieu de la tech pour avoir co-créé la cryptomonnaie Ethereum, a un propos plus nuancé. S’il admet douter du cryptage de Telegram, l’homme regrette des méthodes «très mauvaises et inquiétantes pour le futur de la liberté des logiciels et de la communication en Europe». Sur X, les soutiens du genre se multiplient.

Il faut creuser longuement pour s’éloigner de la vague des libertaires de la tech, et constater les premières critiques à l’encontre de Dourov. Comme quand l’écrivain ukrainien Stas Olenchenko rappelle aux «défenseurs de la liberté d’expression et de Pavel Dourov» que sa messagerie avait suspendu, en 2017, des canaux appelant à protester contre le gouvernement iranien. Ou quand Guy Verhofstadt, à la tête du groupe d’influence European Movement International, rappelle simplement que «la liberté d’expression n’est pas sans responsabilité».