Des centaines de manifestants déambulaient ce jeudi après-midi dans les rues de Ramallah, jusqu’au centre administratif de l’Autorité Palestinienne, avant que les gaz lacrymogènes et les grenades ne les dispersent. Certains tenaient des pancartes à l’effigie de l’activiste Nizar Banat, éminent opposant au régime palestinien, décédé dans la nuit lors d’une descente des forces de l’ordre. «Dans l’âme, dans le sang, nous défendons ton Nizar», «Le peuple veut la chute du régime», «Pars, pars Abbas» : nombreux étaient les slogans à viser directement l’AP et son président Mahmoud Abbas.
Raid des forces de sécurité
Il faut dire que les circonstances de l’arrestation de Banat ont de quoi laisser pantois. 25 membres de la sécurité préventive palestinienne débarquent au domicile de son oncle à Hébron, en Cisjordanie, aux alentours de 3 heures 30 du matin dans la nuit de mercredi à jeudi, pour procéder à un raid particulièrement violent, durant lequel Banat est roué de coups de matraque. «Depuis sa dernière vidéo il y a deux jours, la police traînait devant chez lui. Il dormait chez ses oncles, pour se protéger, confie à Libération Ala’a Maraqa, avocat et ami de longue date du militant, de l’hôpital public de Hébron, où il se trouve avec la famille du défunt. Ils l’ont frappé au crâne, battu, lui ont retiré ses vêtements, avant de le transférer à l’hôpital où il a fait un arrêt cardiaque. Mais nous n’avons toujours pas accès au corps, nous n’avons aucune information». Sur les réseaux sociaux, Nizar Banat fait office de martyr, de shahid, tandis qu’une enquête a été ouverte par le procureur public de l’Autorité palestinienne, selon Jibril al-Bakri, gouverneur de Hébron.
Accord israélo-palestinien en cause
Particulièrement actif sur Internet et ancien membre du Fatah, le parti nationaliste fondé par Arafat, Nizar Banat n’était pas avare de vidéos acerbes, dans lesquelles il dénonçait l’incurie, le niveau élevé de corruption des dirigeants palestiniens, Mahmoud Abbas en tête. Dans l’une des dernières, il revenait sur l’accord signé puis annulé entre Israël et l’Autorité Palestinienne, concernant des doses de vaccins Pfizer quasiment périmées distribuées aux Palestiniens en échange de futures doses envoyées l’an prochain par Pfizer en Israël. De nombreux Palestiniens s’étaient déjà montrés sceptiques, convaincus que des clauses particulières de l’accord leur étaient volontairement dissimulées. Quant à Banat, il accusait presque Israël de pratiquer «une extermination de masse» si les Palestiniens mouraient, après l’injection de ces doses.
Ce n’est pas la première fois que le militant était arrêté par l’Autorité Palestinienne, au moins à deux ou trois reprises durant l’année 2020. Il avait été placé en détention par les forces de sécurité palestiniennes pour «diffamation» sur Internet à l’encontre des institutions du gouvernement, énième exemple de répression de l’opposition politique. En 2018, une législation draconienne et controversée avait été adoptée, servant de prétexte à de multiples arrestations arbitraires et abus.
Une enquête impartiale
Nizar Banat était de surcroît candidat sur une liste parlementaire indépendante, le Parti de Libération et Dignité, pour les premières élections législatives depuis 16 ans, prévues le 22 mai 2021. Lesquelles élections ont été annulées par Mahmoud Abbas fin avril, quatre semaines avant leur tenue. Le motif invoqué par le chef de l’Autorité Palestinienne reposait sur le refus d’Israël d’organiser un vote à Jérusalem-Est. Banat s’était exprimé, soupçonnant Abbas de redouter la défaite face à des adversaires du Fatah ou du Hamas.
Ce dernier a d’ailleurs réagi, encourageant une mobilisation massive pour les funérailles. Le Premier ministre Mohammad Shtayyeh a annoncé que l’Autorité Palestinienne ouvrirait une commission d’enquête sur les circonstances de la mort de Banat, mais celle-ci risque d’être jugée peu crédible par les associations de défense des droits de l’Homme et les militants palestiniens, à l’instar du Réseau des ONG palestiniennes, qui souhaite une enquête impartiale et sérieuse.