Pour Narges Mohammadi, ce sera une journée hautement symbolique. Dimanche 10 décembre, alors que se tiendra à Oslo, en Norvège, la cérémonie de remise de son prix Nobel de la paix, la militante iranienne, emprisonnée dans son pays, entamera une nouvelle grève de la faim. Ce sont son frère et son époux qui ont annoncé son choix, lors d’une conférence de presse dans la capitale norvégienne ce samedi 9 décembre.
Témoignage exceptionnel
Farouche adversaire du port obligatoire du hijab pour les femmes et de la peine de mort en Iran, Narges Mohammadi cessera ainsi de s’alimenter «en solidarité avec la minorité religieuse» Bahaïe, dont deux figures dirigeantes observent elles aussi une grève de la faim. «Elle a dit “je vais commencer ma grève de la faim le jour où le prix m’est accordé et peut-être que le monde en entendra plus parler”», a expliqué l’époux de la militante de 51 ans, Taghi Rahmani. Plus importante minorité religieuse en Iran, la communauté Bahaïe y est la cible de discriminations dans de nombreux pans de la société, estiment ses représentants.
Combat contre l’oppression des femmes
De santé fragile, Narges Mohammadi avait déjà observé une grève de la faim de quelques jours début novembre pour obtenir le droit d’être transférée à l’hôpital sans se couvrir la tête. Récompensée par le Nobel en octobre pour «son combat contre l’oppression des femmes en Iran et sa lutte pour la promotion des droits humains et la liberté pour tous», la militante a été maintes fois arrêtée et condamnée ces dernières décennies. Elle est un des principaux visages du soulèvement «Femme, Vie, Liberté» en Iran.
Le mouvement, qui a vu des femmes tomber le voile, se couper les cheveux et manifester dans la rue, a été déclenché par la mort l’an dernier d’une jeune Kurde iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, après son arrestation à Téhéran pour non-respect du strict code vestimentaire islamique. La contestation a été sévèrement réprimée.
Les parents et le frère de Mahsa Amini qui devaient recevoir, dimanche lors d’une cérémonie en France, le prix Sakharov décerné à la jeune femme à titre posthume, ont été interdits de quitter le territoire iranien, a annoncé ce samedi leur avocate en France.
«La victoire n’est pas facile mais elle est certaine»
Détenue depuis 2021 à la prison d’Evin de Téhéran, Narges Mohammadi sera, elle, représentée à la cérémonie d’Oslo par ses enfants jumeaux de 17 ans, Ali et Kiana, exilés en France depuis 2015 et qui n’ont plus vu leur mère depuis près de neuf ans. Tous deux ignorent s’ils la reverront en vie. «Pour ce qui est de la revoir en vie un jour, personnellement, je suis assez pessimiste», a confié Kiana lors de la conférence de presse. «La cause “Femme, Vie, Liberté”, la liberté en général et la démocratie valent la peine qu’on se sacrifie pour elles», a-t-elle souligné. «Peut-être que je la reverrai dans trente ou quarante ans, a-t-elle ajouté. Mais ce n’est pas grave car elle sera toujours dans nos cœurs.»
Portrait
Ali, lui, s’est au contraire dit «très, très optimiste» même si cela ne se produira sans doute «pas dans deux, cinq ou dix ans». «Je crois à notre victoire», a-t-il affirmé, avant de citer une nouvelle fois sa mère : «La victoire n’est pas facile mais elle est certaine.» Dimanche, lors de la cérémonie de remise du Nobel, en présence notamment de la famille royale norvégienne, les jumeaux liront un discours que leur mère a réussi à transmettre à sa famille depuis sa prison.