Jamais, depuis la fin de la guerre froide en 1991, la planète n’avait autant augmenté ses dépenses pour s’armer. C’est ce que révèle le dernier rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), publié ce lundi 28 avril. Sur fond de réarmement des pays membres de l’Otan en raison d’un possible désengagement américain de l’alliance transatlantique, les dépenses militaires (qui comprennent dépenses publiques pour les forces armées, achat de matériels, infrastructures, etc.) ont atteint 2 718 milliards de dollars (près de 2,4 milliards d’euros environ) en 2024 dans le monde. Soit une dixième année de hausse consécutive et un bond de plus de 9,4 % par rapport aux 2 443 milliards de 2023.
Cette augmentation «sans précédent» concerne notamment l’Europe et le Moyen-Orient mais on retrouve en tête de ce grand bal des budgets militaires les Etats-Unis, la Chine, la Russie, l’Allemagne et l’Inde. A eux cinq, ils concentrent 60 % du total mondial, soit 1 635 milliards de dollars.
Réarmement des pays membres de l’Otan
Les Etats-Unis conservent la première place mondiale des dépenses militaires, avec un budget qui a augmenté de 5,7 % en 2024, atteignant 997 milliards de dollars. A lui seul, le pays représente 37 % des dépenses de défense mondiales et 66 % de celles des pays membres de l’Otan. Selon le Sipri, tous les membres de l’Alliance ont considérablement accru leurs budgets. «Le total de leurs dépenses s’élève à 1 506 milliards de dollars, soit 55 % des dépenses militaires mondiales», précise le rapport. Selon la méthodologie de calcul des dépenses militaires du Sipri − qui diffère et n’inclut pas exactement les mêmes catégories de dépense que celle de l’Otan − sur les 32 membres, 18 ont consacré au moins 2,0 % de leur PIB à leurs forces armées, contre 11 l’année précédente.
Quelques pays européens se démarquent. Les dépenses militaires de l’Allemagne ont par exemple grimpé de 28 %, pour un total de 88,5 milliards de dollars et détrônant l’Inde au quatrième rang mondial. «Pour la première fois depuis sa réunification, l’Allemagne est devenue le principal contributeur en matière de défense en Europe centrale et occidentale», observe Xiao Liang, chercheur au sein du programme «Dépenses militaires et production d’armes» du Sipri. La Pologne a elle aussi augmenté de 31 % ses dépenses pour atteindre 38 milliards de dollars en 2024, ce qui représente 4,2 % du PIB polonais.
La guerre en Ukraine alimente largement cette dynamique. L’Europe, Russie incluse, est la région à avoir mis le plus la main à la poche en 2024 : les dépenses militaires y ont bondi de 17 %, atteignant 693 milliards de dollars en 2024. La Russie a consacré à elle seule 149 milliards de dollars à son armée en 2024, en hausse de 38 % sur un an, un niveau deux fois supérieur à celui de 2015. De son côté, le budget militaire de l’Ukraine, attaquée par la Russie, a lui aussi progressé de 2,9 %, atteignant 64,7 milliards. Bien que cela ne représente que 43 % de l’équivalent des moyens russes, l’Ukraine enregistre le fardeau militaire le plus lourd de tous les pays en 2024 avec 34 % de son PIB consacré à la défense.
Une tendance similaire au Moyen-Orient et en Asie
Plus à l’est, Israël, qui poursuit ses bombardements dans la bande de Gaza, a fait bondir ses dépenses militaires de 65 % pour atteindre 46,5 milliards de dollars − soit la plus forte augmentation depuis la guerre des Six Jours en 1967 qui l’opposait à ses voisins arabes, selon le Sipri. A l’inverse, celles de l’Iran ont diminué de 10 % et représentent 7,9 milliards de dollars en 2024, «malgré son implication dans les conflits régionaux», pointe l’institut suédois, car «l’impact des sanctions a fortement limité sa capacité à accroître ses dépenses».
En deuxième position derrière les Etats-Unis, la Chine, qui investit dans la modernisation de ses forces armées, l’expansion de ses capacités en guerre cybernétique et son arsenal nucléaire, représente désormais la moitié des dépenses militaires en Asie et en Océanie. En 2024, elle a augmenté son budget militaire de 7 %, atteignant 314 milliards de dollars.
Ces résultats traduisent «des fortes tensions géopolitiques», estime Xiao Liang du Sipri. Plus de 100 pays ont accru leurs budgets de défense l’an dernier, souligne le rapport. La facture, salée, aura par ailleurs «un profond impact socio-économique et politique», relève l’analyste, car «les pays doivent faire des arbitrages dans leurs choix budgétaires». «Par exemple, nous avons vu de nombreux pays européens réduire d’autres postes budgétaires, détaille-t-il, comme l’aide internationale, afin de financer la hausse des moyens consacrés à l’armée, […] ou encore envisager d’augmenter les impôts ou s’endetter.»