Alors que la guerre fait rage en Ukraine, et que notre niveau d’angoisse est maximal, il peut sembler difficile, en tout cas masochiste, de visionner un documentaire sur la guerre d’Algérie. Et pourtant ce serait dommage de passer à côté de cette série de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, En guerre(s) pour l’Algérie, diffusée mardi 1er et mercredi 2 mars sur Arte, à raison de trois épisodes par soir de diffusion. Soixante ans après la signature des accords d’Evian, qui ont marqué la fin d’un des conflits coloniaux les plus traumatisants du 20ème siècle, il est urgent d’entendre celles et ceux qui ont vécu cette tragédie, même si les images évoquées par ces mots prononcés parfois dans un souffle ou un sanglot sont souvent difficiles à supporter.
«Il faut tout dire»
La force du documentaire d’Arte, racontée par la jeune comédienne Lyna Khoudri, dont la lumière nous avait tant marqué dans le film Papicha (2019) de Mounia Meddour, c’est qu’il donne la parole à tous les acteurs du conflit. Civils algériens, Français d’Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du Front de libération nationale (FLN) et du Mouvement national algérien (MNA), combattants de l’Armée de libération nationale (ALN), intellectuels et étudiants, réfractaires, personnels de l’administration française en Algérie, membres de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), supplétifs de l’armée française, porteurs de valise… Ils parlent librement, face caméra, accompagnés par des images d’archive et leurs témoignages sont d’une incroyable force. Longtemps, en effet, une chape de plomb a recouvert les exactions commises durant ces longues années d’une guerre appelée différemment de part et d’autre de la Méditerranée : «guerre d’Algérie» en France mais plutôt «guerre de libération nationale», «guerre d’indépendance» voire «révolution» en Algérie.
Pages d'histoire
Qui sait, par exemple, que le 1er novembre 1954 est à marquer d’une pierre blanche, ou plutôt noire, car c’est ce jour-là qu’a démarré la dernière guerre coloniale française quand un caïd (fonctionnaire algérien chargé d’administrer pour le compte des Français un ou deux douars, qui correspond à un village ou groupement d’habitations) va se faire tuer par un moudjahid sur la route de Biskra, entraînant au passage la mort d’un instituteur, abattu de deux balles dans le dos ? Arte a retrouvé un témoin de cet attentat, il raconte l’enchaînement de ces événements tragiques dans le premier épisode de la série. «Il faut tout dire, parce que c’est peut-être la dernière fois que je peux parler», entend-on souvent dans ces témoignages. Ils en sont d’autant plus précieux.
(1) En guerre(s) pour l’Algérie, série documentaire de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, réalisée par Rafael Lewandowski, racontée par Lyna Khoudri. Mardi 1er et mercredi 2 mars à 20 h 50 sur Arte. Et sur arte.tv jusqu’au 27 août 2022.
(2) A l’occasion de la diffusion de cette série, le site de l’INA propose l’intégralité des soixante-six entretiens des derniers témoins de la guerre, soit plus de 160 heures de témoignages inédits.
(3) Un podcast INA consacré aux témoignages des femmes dans la guerre d’Algérie (6 × 45 minutes) sera aussi disponible début mars sur les plateformes d’écoute habituelles et l’application Radio France.