Le Groenland ne veut plus se laisser faire. Au mois d’avril, les Groenlandais ont brutalement écarté les sociaux-démocrates du Siumut, qui dominaient la vie politique du pays depuis 1979, pour installer à leur place les écologistes du parti Inuit Ataqatigiit (IA). Ceux-ci ont rapidement formé un gouvernement avec les indépendantistes du Naleraq. Et Mute Egede, 34 ans, est devenu le plus jeune Premier ministre du monde, même s’il dirige un territoire autonome et pas, encore, indépendant.
Au cœur de la crise politique qui a provoqué ces élections anticipées se trouve Kvanefjeld, une montagne du sud-ouest de l’île, à proximité de la petite ville de Narsaq. C’est son exploitation qui a déchiré habitants et partis politiques et transformé le scrutin d’avril en un référendum sur l’exploitation des mines d’uranium. En 2010, Greenland Minerals, une société australienne à capitaux chinois obtenait un permis d’exploiter l’uranium et les terres rares (expression qui désigne un groupe de métaux qui servent notamment dans la fabrication des téléphones et ordinateurs).
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Manne économique
Les conséquences sur l’environnement de l’exploitation de ce métal radioactif à hauteur de 500 tonnes par an affolent les écologistes d’IA qui ont mené leur campagne exclusivement contre ce projet qui menace un peu plus les ressources naturelles locales et les emplois des habitants de Narsaq, petite ville de 1 500 habitants qui dépend en grande partie de la pêche. Or, les sociaux-démocrates de Siumut ont longtemps été favorables au projet, perçu comme une manne économique importante pour la région autonome.
La victoire des écologistes de l’IA et l’arrivée à la tête du gouvernement semi-autonome de Mute Edege avait été très remarquée à l’échelle internationale alors que ces législatives aux enjeux très locaux intéressent d’habitude rarement au-delà de la région. «Il y a une volonté de développement des industries minières pour que les retombées économiques bénéficient au Groenland. Mais, localement, les gens ne veulent pas de l’uranium», note Pia Bailleul, doctorante au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative de Nanterre et au musée du Quai Branly.
Derrière la lutte contre l’exploitation des ressources naturelles se niche le sujet brûlant de l’indépendance. Le Groenland, territoire autonome danois de 56 000 habitants, installés pour la plupart dans les villes côtières de la partie sud du territoire (dont 30 % rien qu’à Nuuk, la capitale), revendique fermement son indépendance, une possibilité inscrite dans la Constitution danoise. Colonisé par le Danemark en 1721, le territoire a gagné au fil des années une très forte autonomie. Depuis 2009, seules les politiques régaliennes sont encore sous la coupe de Copenhague comme la monnaie, la politique étrangère ou la défense. Mais le Danemark assure encore un tiers du budget du territoire, avec 520 millions d’euros versés chaque année. Au Groenland, les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres sont importantes et les velléités d’indépendance se heurtent à la réalité économique de la région. Ces dernières années, le territoire a donc cherché à accroître ses propres revenus, notamment avec la pêche, qui représente 90 % de ses exportations, le tourisme, actuellement au point mort à cause de la pandémie et… les projets miniers.
Relation abîmée
«Si la protection de l’environnement est au cœur des préoccupations, il y a aussi une volonté de poursuite des activités économiques dont les habitants dépendent. Les Groenlandais vivent déjà une situation socio-économique extrêmement difficile et ont aussi besoin de créer de la richesse pour permettre l’indépendance», explique Camille Escudé-Joffres, chercheuse à Sciences-Po Paris.
Lundi, en amont du Conseil de l’Arctique qui se tenait jeudi à Reykjavik, la capitale islandaise, le ministre des Affaires étrangères groenlandais, Jeppe Kofod, a tenu à faire passer un message lors d’une rencontre avec le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, en visite à Copenhague : hors de question que le Danemark parle au nom du Groenland. D’ailleurs, à l’issue du sommet de jeudi, Blinken s’est rendu au Groenland avant de rentrer aux Etats-Unis. Pour les Américains, il s’agit de reconstruire une relation abîmée par Donald Trump qui avait proposé en 2019 de racheter le Groenland. «Biden veut mettre l’Arctique sur la liste de ses priorités. L’idée, c’est aussi de tendre la main aux populations autochtones qui composent 95 % de la population de l’île et de récréer une relation sur un pied d’égalité», explique Camille Escudé-Joffres. Pour les Groenlandais, il s’agit «de s’assurer une stature internationale dans la perspective de leur indépendance».
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