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Libération
Nuit brune

L’extrême droite sème le chaos à Dublin après l’attaque au couteau, une «honte pour l’Irlande»

Des heurts ont éclaté dans la capitale irlandaise jeudi 23 novembre au soir en réaction à une attaque survenue plus tôt dans la journée. La police dénonce le fait de sympathisants d’extrême droite.
Une voiture de police en feu, non loin des lieux d'une agression au couteau, jeudi soir à Dublin. (Clodagh Kilcoyne/REUTERS)
publié le 24 novembre 2023 à 7h26
(mis à jour le 24 novembre 2023 à 15h45)

«Irish Lives Matter» («Les vies irlandaises comptent»). Grifonné sur les pancartes, le slogan laisse peu de doutes sur l’identité des émeutiers qui les brandissaient. C’est signé de l’extrême droite et l’Irlande ne s’attendait pas à une telle poussée de fièvre brune. Jeudi 23 novembre dans la soirée, dans les rues de Dublin, des centaines de personnes ont mis tout un quartier à sac – un emblématique bus à impériale a même été incendié – après une attaque dont les motivations restaient ce vendredi inconnues.

Dans l’après-midi de jeudi, un homme armé d’un couteau a fait plusieurs blessés dont trois enfants et une institutrice. La police a rapidement écarté tout motif terroriste mais les rumeurs sur l’identité de l’assaillant ont déclenché une spirale de violence dans une partie de la capitale irlandaise où vit notamment une population immigrée. La Garda Siochana, les gardiens de la paix irlandais, s’est bornée à préciser que l’agresseur était âgé d’une cinquantaine d’années, qu’il était présent dans le pays depuis vingt ans et qu’il avait été hospitalisé.

Les faits concernant cette attaque à l’arme blanche «ne sont pas encore clairs», a reconnu le commissaire Drew Harris, déplorant des «rumeurs» et «insinuations» répandues «à des fins malveillantes». En revanche, sur ce qui s’est passé ensuite, l’officier n’a aucun doute : «Nous sommes en présence d’une faction de vandales dérangés, mus par une idéologie d’extrême droite et face à une tendance nouvelle de violence disruptive. J’ai été très clair avec nos forces pour qu’on procède à toutes les arrestations nécessaires et qu’on traduise les coupables en justice.» Ce vendredi après-midi, la police a fait état de 34 arrestations et 32 comparutions immédiates. La justice a imposé à une partie d’entre eux une interdiction de rassemblement voire des assignations à résidence.

«Manipulation, haine et violence»

Le Irish Times a titré vendredi «Un jour de violence sombre» et tous les médias ont documenté par le menu les destructions et les violences de la soirée de jeudi : des dizaines de magasins pillés, des voitures de police incendiées, des jets de poubelle sur les forces de l’ordre.

Des scènes de guérilla urbaine qui «font honte à l’Irlande, honte à leurs familles et à eux-mêmes», a déploré le Premier ministre, Leo Varadkar. «Nous ne tolérerons pas qu’un petit nombre utilise des faits épouvantables pour semer la division», a déclaré dans un communiqué la ministre de la Justice, Helen McEntee, appelant au «calme».

Un discours anti-immigration s’est largement développé ces dernières années en Irlande, avivé notamment par la crise du logement. Plusieurs manifestations ont eu lieu dans le pays ces derniers mois contre des projets d’hébergement pour demandeurs d’asile. Selon des chiffres officiels, les demandes d’asile ont été multipliées par plus de cinq en 2022 par rapport à 2021. L’association Irish Refugee Council a exprimé sa «sympathie la plus profonde» aux victimes de l’attaque de jeudi et sa «solidarité inébranlable» envers les réfugiés et demandeurs d’asile, dénonçant «la manipulation, la haine et la violence». Et l’association contre le racisme Inar a aussi fustigé «les manipulateurs et les opportunistes» qui «profitent de cette période difficile» pour «semer le chaos».

Parmi les victimes de l’attaque au couteau, une petite fille de 5 ans restait ce vendredi «dans un état critique» et l’institutrice était «dans un état grave», selon la police. L’assaillant a été arrêté sur place, notamment grâce à l’intervention de deux passants. Dont un lycéen français, Alan, 17 ans, qui était en stage dans un restaurant de la capitale irlandaise, selon BFM TV. L’élève de terminale à Bazeilles (Ardennes) qui pratique le self-défense, rapporte France Bleu Champagne-Ardenne, aurait été légèrement blessé à la main et au visage en désarmant le suspect.

«J’ai tout fait à l’instinct»

L’agresseur a également été arrêté dans son geste par un livreur Deliveroo d’origine brésilienne, père de deux enfants et habitant en Irlande depuis un an. «Je l’ai vu poignarder la petite fille et j’ai tout fait à l’instinct. Je me souviens d’avoir enlevé mon casque de scooter et de l’avoir utilisé comme bouclier, a raconté Caio Benicio dans les médias irlandais. Je l’ai frappé à la tête de toute la force que je pouvais avoir. Il est tombé et d’autres sont arrivés pour le frapper aussi.» Ecartant toute motivation terroriste, Liam Geraghty, responsable de la police locale, a sobrement déclaré : «Il semble s’agir d’une attaque isolée dont nous devons déterminer les raisons.»

Sur O’Connell Street, dans le centre de la capitale la vie a repris lentement son cours ce vendredi malgré les dégâts encore visibles, dont des commerces aux vitrines brisées. Les voitures incendiées ont été enlevées. «C’était plus que du vandalisme et beaucoup de colère», raconte Robbie Hammond, coach sportif de 28 ans qui a assisté aux scènes d’émeute de jeudi. Pour Fergal McSkane, 40 ans, qui travaille dans le secteur social, cette explosion de violence n’est pas si surprenante vu le ressentiment croissant contre les réfugiés : ce sont «des personnes vulnérables qui accusent d’autres personnes vulnérables».