La longue occupation de Kherson a fait des ravages. Pendant huit mois, la ville du sud de l’Ukraine a été prise pour cible par les troupes russes qui y ont installé et développé des salles de torture de masse, comme nous l’avons raconté. Depuis la libération de la capitale administrative de la région de Kherson en novembre, les informations se multiplient sur «des tactiques génocidaires, un plan criminel du Kremlin soigneusement conçu et financé, dont l’objectif est clairement d’éliminer l’identité ukrainienne», détaille dans un mail à Libération, Wayne Jordash directeur associé du cabinet juridique Global Rights Compliance et chef de l’équipe de justice mobile. Un groupe d’enquêteurs et d’avocats internationaux financé par le Royaume-Uni, l’Union européenne et les Etats-Unis, qui soutient le bureau du procureur général d’Ukraine.
Pour le moment, plus de 20 salles ont été découvertes dans cette ville qui comptait environ 280 000 habitants début 2022. «De nombreuses autres devraient apparaître au fur et à mesure que les enquêtes se poursuivent, indique Global Rates Compliance. Plus de 1000 survivants ont témoigné à ce jour, tandis que plus de 400 autres ont disparu.» Tortures à l’électricité, coups à répétition, waterboarding (simulacres de noyage), les forces russes se sont également livrées à «des viols, à des crimes sexuels à grande échelle sur des hommes et des femmes, particulièrement à Kherson et dans les faubourgs de Kyiv», précise Wayne Jordash.
Esprit paranoïaque
Dans un premier temps, les «soldats de l’armée ukrainienne ont été visés, ainsi que les membres de leur famille. Puis ils s’en sont pris aux responsables de la ville, aux journalistes, aux universitaires. Même des enseignants ont été détenus et torturés et, dans de nombreux cas, exécutés, note le patron de l’équipe de justice mobile. Dans l’esprit paranoïaque du commandement militaire ou civil russe, toute personne pouvait représenter une menace à leurs yeux et risquait d’être détenue et de disparaître.» De nombreuses victimes ont déclaré avoir été interpellées au hasard dans les rues et détenues pour avoir conservé des documents «pro-ukrainiens» dans leur téléphone.
Les prisons de Kherson ont été utilisées, ainsi que des magasins, des bureaux, un ancien poste de police et même des maisons de particuliers reconvertis en centres de torture. Sur les murs des cellules, les enquêteurs ont découvert des «slogans, des poèmes et des chansons prorusses que les prisonniers étaient forcés d’apprendre et de réciter».
«Financés par la carte de crédit de Poutine»
Wayne Jordash assure être en possession d’éléments de preuve montrant que ces salles de torture étaient gérées par différentes agences de sécurité russes : le Service fédéral de sécurité, son antenne locale de Kherson et l’administration pénitentiaire russe. Une enquête est en cours sur des flux financiers directs partant des autorités russes vers les services de sécurité russes à Kherson.
«Des dizaines de lieux de détention et de torture, financés par la carte de crédit de Poutine, existaient dans les zones occupées, conclut Wayne Jordash. Leur fonctionnement et leur objectif étaient similaires, sinon identiques, ce qui indique une manière d’opérer et un système conçu d’en haut.»