Elle devait monter dans un avion pour l’Allemagne avec d’autres réfugiés. Sa demande d’asile a été acceptée. Mais le voyage est finalement repoussé : la jeune femme est enceinte de huit mois et risque d’accoucher sous peu. «Quand elle a appris qu’elle ne pouvait pas voyager, sa détresse et sa déception étaient telles qu’elle a tenté de se suicider», a expliqué au Guardian le juge chargé de l’enquête, Nikos Triantafyllos. Dimanche dernier, cette mère de trois enfants a mis le feu à sa tente dans le camp de réfugiés de Kara Tepe, sur l’île grecque de Lesbos, où vivent 6 000 à 7 000 migrants, pour la plupart originaires d’Afghanistan. Brûlée aux mains, aux pieds et à la tête, elle a été conduite par les pompiers à l’hôpital de Mytilène, la capitale de l’île.
Détresse psychologique
Au-delà de son acte désespéré, la jeune femme risque aujourd’hui d’être poursuivie par les autorités grecques pour avoir risqué de provoquer un incendie dans le camp de réfugiés. Un procureur s’est rendu jeudi à son chevet pour l’interroger, selon le quotidien britannique. Il doit désormais décider du bien-fondé des poursuites. «Un message doit être envoyé. Cela aurait pu créer un incendie plus important», a estimé un porte-parole de la police grecque cité par le New York Times. Criminels ou involontaires, les incendies ne sont pas rares dans les camps d’accueil grecs. Le manque d’équipements pour affronter un hiver peu clément incite à utiliser des poêles pour se chauffer, au risque d’embraser la tente qui sert de toit. La semaine dernière, l’AFP a rapporté plusieurs incendies dans des camps de l’île ou à Thèbes, au nord d’Athènes.
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Pourtant, le geste désespéré de cette jeune femme, qui habitait depuis plus d’un an dans ce camp de Kara Tepe, met plutôt en évidence la détresse psychologique de ses habitants. Construit à la hâte, Kara Tepe est destiné à accueillir provisoirement les milliers de migrants sans-abri délogés par une série d’incendies qui a détruit l’immense camp surpeuplé de Moria dans la nuit du 9 septembre. Mais, sans eau courante ni électricité, les conditions sanitaires sont dénoncées par les associations humanitaires.
«Criminaliser une tentative de suicide»
Pour Philippe Dam, de l’ONG Human Rights Watch, l’audition de la jeune femme afghane révèle «une disproportion entre le désespoir de la personne concernée et la volonté de criminaliser une tentative de suicide». Nombre de migrants arrivés sur l’île après un voyage difficile souffrent de syndromes post-traumatiques. Et les séjours qui se prolongent dans les camps aux conditions sanitaires précaires créent des traumatismes supplémentaires. La situation est d’autant plus pénible que les restrictions interdisent aux habitants de sortir plus de trois heures dans la semaine, et pas après 17 h 30, selon Katrin Brubakk, psychologue depuis cinq ans dans la clinique de Médecins sans frontières à Mytilène, qui décrit une situation de détresse psychologique sans précédent. «L’année dernière, 50 enfants ont tenté de se suicider. Beaucoup de personnes perdent espoir et les restrictions sanitaires rendent la situation encore plus difficile. C’est une prison à ciel ouvert», décrit-elle à Libération.
Les autorités grecques adoptent une réponse de plus en plus sévère à l’égard des migrants qui attendent sur leur territoire. Depuis novembre, un Afghan est en attente de son procès : il est accusé d’avoir mis en danger la vie de son fils. Celui-ci s’est noyé dans le chavirage du bateau qu’ils avaient pris pour rejoindre les côtes grecques en provenance de Turquie. Depuis l’incendie du camp de Moria, le gouvernement grec cherche à réduire la population de réfugiés sur l’île et, plus généralement, dans les camps. Si les procédures sont plus rapides et les relocalisations dans les pays de l’UE plus nombreuses, l’objectif est surtout de décourager les arrivées. Selon Katrin Brubakk, les conditions de travail des associations humanitaires sont rendues de plus en plus difficiles.