«On devait être au Royal Institute et là on se retrouve à l’Ibis, c’est beaucoup plus républicain quoi…» ironise Eric Zemmour lorsqu’il entame son discours à Londres. En costume sombre, le «polémiste» condamné pour «incitation à la haine» foule une moquette rouge bordeaux. Il est entouré de murs blancs vides. Malgré une heure de retard, les spectateurs applaudissent son arrivée en scandant «Zemmour président». Les rares journalistes anglais comme le Sunday Times ou le Telegraph tentent de se frayer un chemin dans le bourdonnement français qui remplit la salle.
Tout a été organisé à la hâte. Un déjeuner pour rencontrer d’éventuels donateurs a déjà eu lieu. Son communicant ne révélera rien de plus. Depuis le début de la semaine, le polémiste a subi plusieurs déconvenues. La veille de son arrivée dans la capitale britannique, il apprend que la Royal Institution, où il doit donner sa conférence, annule la réservation à la suite «d’un processus de diligence raisonnable». Sans plus d’explications. Le prestigieux centre de recherches est situé au cœur de Londres, à quelques minutes du parlement de Westminster ou de Downing Street, cœurs du pouvoir. Zemmour aura finalement trouvé refuge dans un Ibis lambda, au sud-ouest, loin du centre de la capitale, bien moins glamour et surtout symbolique. Cette déconvenue intervient juste après la publication d’un nouveau sondage qui note un tassement net de la popularité d’Eric Zemmour. Sa cote s’érode au profit de sa rivale Marine Le Pen.
Vendredi soir, devant la triste entrée de l’hôtel Ibis londonien, Gauthier Dupont claironne qu’il vient de créer un groupe twitter des Londoniens Pro Zemmour, qui affiche 1 000 abonnés. «On se rapproche de l’officialisation de sa candidature», se félicite-t-il. En effet, l’ancien journaliste a dévoilé vendredi la date de son premier véritable meeting politique, et celle donc de l’annonce probable de sa candidature. «La suite de l’histoire commence au Zénith de Paris», a-t-il tweeté. Ce sera le 5 décembre.
Dans la salle, une majorité d’hommes travaillant dans la finance
De quoi ravir Gauthier qui veut «lui donner de l’argent et du temps». Il va désormais «coordonner la campagne» de l’écrivain au Royaume-Uni. Cet ancien sympathisant de François Fillon affirme avoir enfin trouvé son «Thatcher à la française». Il travaille dans la finance et regarde «surtout les propositions économiques», mais, questionné sur le sujet, il est incapable d’en citer ne serait-ce qu’une. Plusieurs amis l’accompagnent ce soir, qui affichent les mêmes profils. Un peu plus de 300 personnes assistent à la conférence, majoritairement des hommes, plutôt jeunes, dans la finance et déçus par la droite traditionnelle. «J’ai voté Le Pen au second tour en 2017 mais elle n’est pas assez libérale et à droite, personne ne me donne envie», commente Gauthier, persuadé qu’Eric Zemmour répondra à ses attentes même s’il n’y a pas encore de programme.
Même désillusion pour cette ancienne professeure, désormais retraitée. Elle vit à Londres depuis cinq ans, ne sait pas encore pour qui elle va voter. Eric Zemmour l’intrigue : «Il ne fait pas de langue de bois. Il semble décrire une situation qui existe, qu’on a essayé de nous cacher, parce que ça dérange.» D’autres sont là pour observer, rien de plus. Solal, 18 ans, votera pour la première fois en 2022. A la fin du discours, il n’est «pas convaincu», il votera LR.
Ces spectateurs ne sont pas très représentatifs du vote des Français de Londres, un peu moins de 140 000 dans la capitale britannique. En 2017, Marine Le Pen avait récolté 4,8 % au second tour contre 95,2 % pour Emmanuel Macron, et 2,1 % au premier tour, alors que François Fillon engrangeait 24,79 %. Mais peu importe, Eric Zemmour est là pour récolter des fonds et tenter de convaincre. «Je suis toujours gêné quand des Français quittent la France», explique-t-il, affirmant que son objectif est de «leur donner l’envie de revenir en France».
Pas le bienvenu
Dans son discours, il félicite aussi le Royaume-Uni pour le Brexit. «Je pense que c’est l’instinct de vitalité du peuple anglais qui a décidé de reprendre son destin en main, qui a décidé de ne plus se soumettre aux juges européens», dit-il, en ignorant les Gallois, les Nord-Irlandais et les Ecossais qui font aussi partie du Royaume-Uni et tout en rappelant qu’il ne souhaite pas un Frexit.
Sur scène, Zemmour évoque le maire de Londres dès les premières minutes dans une tirade qui se veut ironique : «Sadiq Khan, mon nouvel ami… Mais tout s’explique quand vous comprenez que l’idole d’Anne Hidalgo s’appelle Sadiq Khan.» La salle rit et applaudit. Avant même l’arrivée du presque candidat d’extrême droite sur le sol anglais, l’élu travailliste avait fait part de son irritation à voir le polémiste dans sa ville, en affirmant que «toute personne voulant diviser nos communautés et inciter à la haine contre des personnes en raison de leur couleur de peau ou de leur croyance n’est pas la bienvenue dans notre ville».
L’opposition à cette visite ne s’est pas seulement manifestée à la mairie de Londres. A l’entrée de l’Ibis, une dizaine de membres d’EE-LV au Royaume-Uni brandissaient des affiches où il était écrit que «L’incitation à la haine n’est pas compatible avec la fonction présidentielle.» Pour Charlotte, présente parmi ces manifestants, Zemmour «représente une vraie menace, on devrait s’inquiéter que ses idées prennent une place aussi importante».
Même les députés les plus conservateurs du Royaume-Uni n’ont pas accepté de rencontrer Eric Zemmour. Selon l’hebdomadaire très conservateur The Spectator, c’est à cause des relations tendues entre les deux pays. Il n’y aura pas eu non plus d’interview avec Nigel Farage sur la chaîne GB News, la CNews britannique. Cette visite à Londres avait décidément des allures de flop.