Dans le centre-ville de Mons, les affiches aux couleurs vives décorent les vitrines des cafés et des magasins. Exposition Rodin, Doudou 2024, festival du printemps… Un peu partout, la programmation culturelle est fièrement exposée. Et pour cause : depuis bientôt dix ans, la ville belge, située à seulement quelques dizaines de kilomètres de la frontière française, mise sur l’événementiel pour rayonner. Et sur l’élan insufflé par son prestigieux titre de capitale européenne de la culture, remporté en 2015.
Il faut dire que le label est convoité. Lancé en 1984 à l’initiative de Jack Lang et de son homologue grecque, Mélina Mercouri, le titre permet aux villes choisies de développer leur politique culturelle grâce à des fonds européens. L’objectif : «mettre en valeur la diversité de la richesse culturelle en Europe». En 1985, Athènes ouvre le bal en devenant la première «ville européenne de la culture». Quarante ans plus tard, une soixantaine de cités se sont vues décerner le label par un jury européen, composé de personnes nommées par différentes institutions de l’Union européenne. Parmi elles, quatre sont françaises : Paris, Avignon, Lille et Marseille.
Une ville sinistrée économiquement
En 2015, c’est au tour de Mons – qui partage le titre avec Pilsen, en République tchèque – d’être couronnée. A l’époque, la ville wallonne de 95 000 habitants peine à se déployer économiquement. «Jusque dans les années 1960, c’était une des régions les plus riches du pays, grâce aux industries lourdes, rappelle Xavier Roland, responsable du pôle muséal, qui gère les musées et expositions de la ville. Mais la désindustrialisation a produit un chômage massif, avec un énorme déficit d’investissement», poursuit-il depuis son bureau, dissimulé derrière la boutique du musée des Beaux-Arts de Mons et bariolé, lui aussi, d’affiches d’expositions.
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Au moment de préparer la candidature, dans les années 2000, le taux de chômage frise les 25-30 %. Alors forcément, «personne n’y croyait trop», se souvient Philippe Kauffmann, conseiller artistique pour Mons 2015. Il aura finalement fallu un «électrochoc» : la fête d’inauguration, en janvier 2015. Ce soir-là, plus de 100 000 personnes prennent le centre historique d’assaut, déambulant entre les spectacles de rue et les installations lumineuses. De cette soirée, Logan, accoudé à son comptoir, garde un souvenir intact. «On s’attendait à du monde, mais certainement pas autant», admet le responsable de salle de 36 ans, qui travaillait déjà dans cette brasserie bordant la Grand-Place.
Plus de deux millions de visiteurs
Pendant un an, les expositions s’enchaînent. Vincent Van Gogh, Paul Verlaine, Roland de Lassus… «Evidemment, tout n’a pas été réussi et c’est normal», concède Philippe Kauffmann. Mais qu’importe. Au total, plus de deux millions de personnes font le déplacement, dépassant les espérances des organisateurs. Au-delà du prestige, les retombées économiques sont positives. Selon une étude menée par le bureau international KEA, chaque euro investi – 71 millions au total – en aurait rapporté entre cinq et six à l’économie belge.
Mais les organisateurs le savent : la réussite d’une capitale de la culture ne peut se résumer au nombre d’entrées sur une année. L’objectif, le vrai, c’est le long terme. «Sinon, ça ne sert à rien», insiste Xavier Roland. Pour pérenniser l’élan, les organisateurs se sont inspirés de Lille, couronnée en 2004. A l’instar de Lille 3000, une structure héritière est alors rapidement créée : la fondation Mons 2025, qui chapeaute depuis biennales et autres projets artistiques. Les cinq musées inaugurés en 2015, eux, sont toujours ouverts, et de nouveaux sites ont depuis vu le jour. Côté héritage, «je pense que c’est un pari réussi», résume fièrement Dominique Cominotto, président de la fondation.
«Maintenant, je peux dire aux gens que Mons est une belle ville»
Plus qu’un projet créatif, être nommé capitale européenne de la culture, «c’est transformer la ville et les mentalités», insiste Philippe Kauffmann. Alors, pour se relancer, Mons mise sur la culture, mais pas que. «Il y a aussi eu une rénovation globale de la ville», rappelle Xavier Roland. Assise en terrasse au bord de la Grand-Place, Catherine insiste : l’avant-après est flagrant. «De nombreuses façades, rues, monuments ont été restaurés», se réjouit la Montoise de 76 ans. «Ça a changé notre image de la ville, on est devenues plus fières», acquiesce sa sœur Virginie. Café en mains, Catherine reprend : «Maintenant, je peux dire aux gens que Mons est une belle ville. Avant 2015, je disais “chouette”, jamais “belle”».
A l’extérieur, aussi, l’image de l’ancienne cité industrielle a changé. «La preuve, c’est l’exposition actuelle sur Rodin, qui réunit 200 œuvres prêtées. Avant 2015, ces prêts auraient été impossibles», pointe Xavier Roland. Mais si le label a donné une certaine «légitimité à Mons sur le plan international», comme l’affirme Dominique Cominotto, «on est encore loin d’une capitale comme Paris», s’amuse Chelsea, 24 ans. Flânant dans une rue commerçante, l’étudiante estime avoir été trop jeune à l’époque de Mons 2015 pour être marquée par l’événement. «C’est vrai qu’il y a plus d’activités et de touristes depuis. Mais Mons reste Mons», ajoute-t-elle en réajustant ses lunettes de soleil.
Elire des petites métropoles, c’est justement la tendance qui se dessine au sein du jury européen, après avoir couronné dans les années 80 et 90 une myriade de capitales. Reste ensuite aux gagnantes de capitaliser sur le titre, comme ont su le faire Glasgow et Liverpool, sacrées en 1990 et en 2008. Soucieux de suivre la même ascension, les héritiers de Mons 2015 entendent poursuivre le travail, petit à petit. L’objectif désormais : «faire de Mons une destination intuitive», conclut Xavier Roland.