Il est 15 heures lorsque les premiers soutiens d’Alexeï Navalny arrivent devant l’ambassade de la fédération de la Russie, dans le XVIe arrondissement de Paris en ce vendredi 16 février. La mort du principal opposant à Vladimir Poutine n’a été annoncée qu’il y a quelques heures, mais des dizaines de citoyens russes répondent déjà présents. Des policiers, dépêchés pour l’occasion, demandent une dispersion, faute de déclaration préalable à la préfecture. Déterminés, les contestataires se regroupent quelques mètres plus loin, munis de drapeaux blanc bleu blanc, synonymes d’opposition à la guerre en Ukraine et de pancartes, «Poutine tueur», «Poutine assassin», «Pas de Poutine, pas de mort».
Interview
Aux pieds du monument à Alexandre Ier de Yougoslavie et Pierre Ier de Serbie, un cadre avec la photo du célèbre avocat, ennemi numéro 1 du Kremlin. Des roses ont été déposées en sa mémoire. La tragédie est sur toutes les lèvres. Catherine, 60 ans, traductrice russe, a répondu à l’appel du collectif #FreeNavalny relayé sur les réseaux sociaux «pour soutenir de manière générale l’opposition à Poutine». Si elle concède que la mort de Navalny n’est «pas inattendue», elle souhaitait rendre hommage à son «admirable courage» pour son combat contre le gouvernement russe. «Ce qu’il représentait était important pour beaucoup de gens», souffle-t-elle.
Chansons en russe
Au centre de ce petit monde, une femme se met à chanter en russe. Tout le monde l’écoute. Les larmes coulent sur certaines joues. Les applaudissements fusent. «C’est une chanson que je n’arrivais plus à chanter, mais pour Alexeï Navalny, j’étais obligée, raconte Olga Velichkyna, 60 ans, musicologue de métier. Ce chant russe date du XVIIIe siècle, le pays était alors en guerre contre la Turquie. Il parle d’un jeune homme persécuté qui réussit à s’évader de prison. Mais sans moyen de se cacher, il se jette dans la rivière», explique-t-elle dans un français parfait, les yeux rougis par l’émotion. L’analogie avec l’histoire de Navalny était toute trouvée.
Reportage
La musique reprend de plus belle. Cette fois-ci, c’est un jeune homme aux cheveux et à la barbe longue qui se met à chanter, guitare à la main, des chansons en russe, avec des amis, en suivant les paroles retranscrites sur un téléphone. Rapidement, les personnes recueillies autour de lui se mettent à le suivre. Les voix s’élèvent, comme autant de cris du cœur. «C’est une musique racontant l’opposition espagnole contre Franco, mais qui a été transposée en Russie», explique Lev, un Russe de 26 ans.
«Les héros ne meurent pas»
Lui est venu avec des camarades étudiants, emmitouflé dans un trench gris pour honorer la mémoire d’«un héros». Lev, qui vivait à Moscou jusqu’en septembre 2022, se souvient des premières manifestations anti-Poutine, galvanisées par Alexeï Navalny, en 2012. «C’était grand, c’était fort. Pour la première fois, une véritable opposition à Poutine venait de naître», raconte-t-il. Il dit être «très triste» d’avoir perdu un si précieux modèle dans le combat contre l’oligarque russe.
Sur la pelouse, des feutres et des feuilles blanches A4 ont été mises à la disposition des manifestants. Un jeune homme s’empare d’un feutre rouge et, assis en tailleur, écrit en lettres capitales sur sa pancarte bricolée à la hâte : «Les héros ne meurent pas.»