Les lignes rouges n’en finissent plus d’être franchies. Il y a un an, en octobre 2024, les autorités américaines ont rejeté la demande formulée par l’Ukraine de lui fournir des missiles de croisière Tomahawks. «Demande irréalisable», selon un officiel cité alors par le New York Times. Mais enhardi par le succès du plan de paix à Gaza, qu’il s’attribue intégralement, et irrité (en ce moment) par le manque patent de coopération de la part de Vladimir Poutine pour avancer sur celui en Ukraine, Donald Trump s’est dit prêt, ce week-end, à changer d’avis. Et d’imaginer, à bord d’Air Force One, son échange avec le Russe : «Je vais peut-être lui dire : “Ecoute, si cette guerre ne se termine pas, je vais leur envoyer des Tomahawks.” Nous ne le ferons peut-être pas, mais nous pourrions le faire. Est-ce qu’ils [la Russie] veulent que des Tomahawks soient envoyés dans leur direction ? Je ne pense pas.»
En cette fin de semaine, Volodymyr Zelensky est en visite à Washington, pour battre le fer tant qu’il est chaud bouillant. Depuis la raclée dans le Bureau ovale, en février, le président ukrainien veille à bien caresser son homologue américain dans le bon sens de la moumoute orange. Et compte bien profiter de la dynamique actuelle. Ayant félicité Trump «pour son succès et l’accord sur le Moyen-Orient», «une réussite exceptionnelle», Zelensky l’a encouragé : «Si une guerre peut être arrêtée dans une région, alors d’autres guerres peuvent certainement aussi être arrêtées, y compris la guerre menée par la Russie», a-t-il dit samedi. Et de renchérir mercredi : «Cela peut véritablement contribuer à mettre fin à la guerre : ce sont les Etats-Unis qui peuvent exercer ce type d’influence mondiale, et nous mettons tout en œuvre pour que les autres pays du monde se rangent à nos côtés dans cet effort.» D’ailleurs, si cela ne tenait qu’à lui, il nommerait Donald Trump pour le Nobel de la paix l’année prochaine si ce dernier parvenait à obtenir un cessez-le-feu avec la Russie.
Nouvelles livraisons d’armes
En amont de la venue de Zelensky, qui marquera vendredi sa troisième rencontre avec Trump depuis la réélection de ce dernier, une délégation de hauts responsables ukrainiens, conduite par la Première ministre, Ioulia Svyrydenko, (qui avait déjà signé en février l’accord sur les minerais) et le chef de l’administration présidentielle Andriy Yermak, s’est entretenue, à Washington, avec des représentants de fabricants d’armement, dont Raytheon qui produit les missiles Tomahawk. Olga Stefanishyna, la nouvelle ambassadrice d’Ukraine aux Etats-Unis, a confié au média en ligne Politico qu’une annonce serait également faite concernant de nouvelles livraisons d’armes dans le cadre de la nouvelle initiative «Prioritised Ukraine Requirements List» (Purl), mise en place plus tôt cette année par l’Otan, pour financer la livraison d’armes américaines à l’Ukraine.
Depuis une dizaine de jours, les attaques russes sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes se sont sérieusement intensifiées, menaçant de priver le pays de lumière et de chauffage à l’approche de l’hiver. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la Russie a tiré une série de 320 drones et 37 missiles, selon l’armée de l’air ukrainienne, forçant l’opérateur du réseau électrique national, Ukrenergo, à mettre en place des coupures d’électricité d’urgence dans toutes les régions. Des sites de production de gaz ont également été mis à l’arrêt.
«Escalade très grave»
La Russie est-elle prête à répondre à d’éventuelles livraisons américaines de missiles longue portée à l’Ukraine ? Sa réponse serait de «renforcer le système de défense aérienne», a déclaré Vladimir Poutine vendredi, qualifiant de «coup de bluff» les menaces ukrainiennes de frapper Moscou. Du reste, la fourniture de cette arme «pas tout à fait moderne, mais puissante et dangereuse» constituerait «une nouvelle escalade», sans toutefois changer «en rien le rapport de force sur le champ de bataille», a assuré le président russe. Vrai, si l’on considère la ligne de front comme un champ de bataille, car les missiles de croisière, utilisés en profondeur dans le territoire ennemi, ne vont pas l’influencer directement. Le Tomahawk peut atteindre des cibles situées à une distance comprise entre 1 600 et 2 500 kilomètres. C’est-à-dire pénétrer la Russie presque aux deux tiers et arriver jusqu’à l’Oural.
«La question du Tomahawk nous préoccupe au plus haut point», a reconnu dimanche le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, dans une interview officielle. Mercredi, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré au journal économique russe Kommersant que la vente par les Etats-Unis de missiles Tomahawk à l’Ukraine «constituerait une escalade, et une escalade très grave», causant «des dommages colossaux» à la normalisation des relations entre les Etats-Unis et la Russie.
En attendant, la Maison Blanche a fait savoir jeudi que Trump était satisfait de son long coup de fil avec Poutine. Le président américain a annoncé une réunion de conseillers de haut niveau la semaine prochaine, sous l’égide du secrétaire d’Etat, Mario Rubio. «Puis le président Poutine et moi-même nous réunirons dans un endroit déjà convenu, Budapest, en Hongrie, pour voir si nous pouvons mettre fin à cette guerre “sans gloire” entre la Russie et l’Ukraine», a-t-il écrit sur Truth Social.