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Jurisprudence

Actes sexuels non consentis : la France, condamnée par la CEDH, «a manqué à ses obligations»

La Cour européenne des droits de l’homme a pointé ce jeudi les «lacunes» du cadre juridique français relatif au consentement et les «défaillances» de l’enquête sur un pharmacien accusé d’avoir imposé à une collègue une relation sadomasochiste.

Manifestation féministe contre les violences sexistes et sexuelles, Paris, le 23 novembre 2024. (Lionel Préau/Riva Press)
Publié le 04/09/2025 à 11h35

La décision risque de faire date, et pourrait bien faire évoluer la définition du consentement dans le droit français. Dans un arrêt rendu jeudi 4 septembre, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France dans l’affaire d’un pharmacien accusé d’avoir imposé à une collègue une relation sadomasochiste.

La juridiction internationale considère que la France «a manqué à ses obligations positives, qui lui imposaient d’instaurer des dispositions incriminant et réprimant les actes sexuels non consentis et de les appliquer de façon effective». Elle dit qu’il y a eu violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, touchant à l’interdiction de la torture et au droit au respect de la vie privée. La France devra verser à la requérante, E.A., 20 000 euros au titre du dommage moral et 1 503,77 euros pour ses frais de justice.

«Viol avec torture et actes de barbarie»

L’affaire au cœur des débats remonte au début des années 2010. E.A. (identifiée par ses initiales pour protéger son anonymat), née en 1983, était préparatrice en pharmacie à l’hôpital de Briey (Meurthe-et-Moselle) en 2010, quand elle a entamé une relation sadomasochiste avec un chef de service, K.B., né en 1967. Elle a porté plainte en 2013 pour «viol avec torture et actes de barbarie par une personne abusant de son autorité», «violences physiques et psychologiques» et «harcèlement et agression sexuels».

Mais le prévenu, condamné en première instance pour violences volontaires et harcèlement sexuel, a été totalement relaxé en 2021 par la cour d’appel de Nancy, les juges estimant que comme les deux protagonistes avaient signé un contrat «maître-chienne» régissant leur relation, celle-ci était consentie. Ayant épuisé les voies de recours en France, la plaignante a dès lors saisi la CEDH.

Ses avocates estimaient que la France ne lui avait pas permis d’obtenir justice quant aux faits de viol et d’agressions sexuelles dénoncés, ces chefs d’accusation ayant d’emblée été écartés par les magistrats – l’affaire avait été renvoyée en correctionnelle, et non aux assises où sont jugés les viols.

«Audience cauchemardesque»

La CEDH leur a donné raison, pointant du doigt les «lacunes du cadre juridique» ainsi que «des défaillances rencontrées lors de sa mise en œuvre», citant «l’exclusion des atteintes sexuelles dénoncées par E.A. du cadre de l’enquête», le «caractère parcellaire des investigations», «la durée excessive de la procédure», et les «conditions dans lesquelles le consentement d’E.A. a été apprécié par les juridictions».

La cour réaffirme en outre dans cet arrêt que «le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances». «Dès lors, aucune forme d’engagement passé – y compris sous la forme d’un contrat écrit – n’est susceptible de caractériser un consentement actuel à une pratique sexuelle déterminée, le consentement étant par nature révocable», souligne la juridiction européenne.

La cour a également donné raison aux avocates de la requérante qui réclamaient que la France soit condamnée pour la «victimisation secondaire» de leur cliente, c’est-à-dire le fait de s’être sentie traitée elle-même comme fautive, du fait de questions déplacées ou de remarques culpabilisantes lors de la procédure. En opposant à E.A. la signature d’un contrat passé avec son supérieur, «la cour d’appel de Nancy l’a exposée à une forme de victimisation secondaire, un tel raisonnement étant à la fois culpabilisant, stigmatisant et de nature à dissuader les victimes de violences sexuelles de faire valoir leurs droits devant les tribunaux», tacle la CEDH.

Cette audience en appel «est décrite par l’avocate mais aussi par mes collègues comme cauchemardesque», comme l’avait rapporté Nina Bonhomme Janotto, juriste à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), partie civile dans l’affaire. «C’était une mise au pilori», avait-elle insisté.

«Loi plus protectrice»

La France étant condamnée par la cour européenne, «ça peut motiver le gouvernement français à rendre effective une loi qui soit plus protectrice des femmes» et pousser les juges à «améliorer leur interprétation de la loi», estimait avant le rendu de l’arrêt l’avocate de la plaignante, Marjolaine Vignola.

En droit français, le viol est défini comme une pénétration imposée par «violence, contrainte, menace ou surprise». Une proposition de loi en cours d’examen au Parlement vise à modifier cette formulation, définissant le viol comme «tout acte sexuel non consenti» et le consentement comme «libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable».

De cette façon, comme c’est déjà le cas en Espagne ou en Suède, ce ne serait plus aux victimes de prouver la contrainte mais aux mis en cause de démontrer que le rapport était consenti.