Ça sentait le divorce depuis déjà plusieurs mois. A chaque rencontre, le ton montait. A chaque réunion de conciliation, les portes claquaient. Entre le chancelier, Olaf Scholz, et son ministre libéral des Finances, Christian Lindner, il ne manquait plus qu’une étincelle pour faire exploser cette relation toxique. Mercredi soir, après que Christian Lindner a proposé à Olaf Scholz d’organiser des élections anticipées pour régler leurs contentieux, le chancelier a perdu patience. Il a limogé son ministre sans ménagement et l’a remplacé par un de ses proches conseillers, Jörg Kukies.
Retour d'expérience
On n’avait jamais vu Scholz dans une telle colère. Il s’est livré à un véritable règlement de compte en public pour démonter cet allié politique de la «coalition de progrès» qui devait fêter ses trois ans en décembre. Christian Lindner agit en «idéologue». C’est un «égoïste» qui ne pense «qu’à sa clientèle électorale». Il a «trop souvent rompu ma confiance», a déploré le chancelier. Il a «trop souvent bloqué les lois». «Je ne peux plus imposer à notre pays un tel comportement», s’est-il justifié. Le chancelier posera la question de confiance au parlement le 15 janvier pour ouvrir la voie à de nouvelles élections fin mars, selon les règles constitutionnelles, soit six mois avant l’échéance prévue qui était le 28 septembre 2025.
Des bâtons dans les roues de Scholz
Le limogeage de Christian Lindner a été vécu comme un soulagement par ses amis du Parti social-démocrate (SPD). Juste après l’annonce de la mort de sa coalition tripartite (SPD, écologistes et libéraux), Olaf Scholz a été applaudi dans une «standing ovation» dans la salle de réunion du groupe parlementaire de l’assemblée fédérale (Bundestag).
Depuis son entrée en fonction, le ministre des Finances n’a jamais cessé de mettre des bâtons dans les roues du chancelier. «Il s’est comporté depuis le début de la législature comme un leader d’opposition au sein du gouvernement auquel il appartient», résume Markus Linden, politologue à l’Université de Trèves. «Sa tactique a toujours été d’affûter son profil libéral en faisant avec des propositions qui ne sont pas celles de ses alliés», ajoute-t-il.
Les deux hommes étaient principalement divisés sur la question des dépenses publiques qui ont dérapé avec la guerre en Ukraine en février 2022, juste après l’entrée en fonction du gouvernement. Pour financer les livraisons d’armes à Kyiv et surtout la relance conjoncturelle nécessaire à une Allemagne qui achève sa deuxième année consécutive de récession, Christian Lindner, chantre de la discipline budgétaire, est resté inflexible. Il a toujours refusé de céder sur le «frein à la dette» inscrite dans la constitution en réclamant la baisse des aides sociales, une revendication qu’il savait inacceptable pour les sociaux-démocrates.
Crise existentielle chez les libéraux
L’entêtement de Christian Lindner sur les finances publiques s’explique par les résultats électoraux misérables de son parti (FDP), dont il est président, lors des derniers scrutins européens et régionaux (moins de 1 % en Saxe). Pour sortir d’une crise existentielle, les libéraux avaient besoin de trouver une raison valable de quitter le gouvernement.
Ils préparaient depuis des mois des scénarios de sortie pour sauver leur peau. «Tout était préparé d’avance», estime Rolf Mützenich, le président du groupe parlementaire du SPD. Pour affirmer son autorité, Scholz a donc anticipé le départ de son ministre en le limogeant brutalement.
Christian Lindner, défenseur du nucléaire, de la discipline budgétaire et de la vitesse illimitée sur les autoroutes, n’a jamais été digne de confiance pour ses alliés politiques. Il avait déjà plongé l’Allemagne dans une des plus graves crises politiques de son histoire en 2017 en faisant échouer les négociations de coalition avec les conservateurs et les écologistes. «Mieux vaut renoncer à gouverner plutôt que de mal gouverner», avait-il déclaré à la dernière minute pour justifier sa décision.
Quant aux écologistes, ils restent au gouvernement pour expédier les affaires courantes jusqu’à Noël avec Scholz et tenter de faire passer les lois les plus importantes, notamment celle des Finances. «C’est une triste soirée alors que l’Allemagne qui a besoin de stabilité en Europe après la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis», a déploré Robert Habeck, le ministre de l’économie.
Un gouvernement minoritaire jusqu’aux élections
Mais Scholz n’est pas encore sorti d’affaire. Après le départ de trois ministres libéraux (sur quatre) du gouvernement, Scholz perd sa majorité au Bundestag et dirige un gouvernement minoritaire. Il compte sur le soutien de l’opposition conservatrice (CDU) qui n’aura pas forcément envie à lui tendre la main alors qu’elle est en tête des sondages. «Olaf Scholz n’a plus la confiance de la majorité du Bundestag. Il n’y a absolument aucune raison d’attendre jusqu’en janvier», estime Andreas Jung, le vice-président du groupe parlementaire CDU /CSU.
Malgré son impopularité record, le chancelier reste persuadé qu’il est en mesure de remporter un second mandat. Fin septembre, il s’était montré confiant, comme à son habitude. «Je compte sur un résultat suffisamment fort qui me permettra de gouverner en 2025», avait-il déclaré avant d’ajouter : «Je suis en bonne condition».