Cette fois, l’extrême droite allemande ne pourra plus se dérober à la surveillance des renseignements généraux, même au niveau national. Après des mois d’hésitation, l’Office fédéral de protection de la Constitution (Verfassungsschutz, équivalent des renseignements généraux) a décidé de placer l’ensemble de l’AfD (Alternativ für Deutschland) sous une surveillance rapprochée. Jusqu’à présent, seules quelques fédérations régionales du parti étaient concernées par cette procédure exceptionnelle en Allemagne.
Cette décision, annoncée mercredi par l’Office fédéral de protection de la Constitution, est la suite logique d’une radicalisation de l’AfD sous l’influence grandissante d’une aile identitaire et néonazie. Le parti avait été fondé au départ par des eurosceptiques en 2013 avant d’entrer au Parlement en 2017.
Velléités antidémocratiques
En mettant l’AfD sous surveillance, les agents des renseignements pourront organiser librement les écoutes de tous les membres de la direction du parti sans même l’autorisation d’un juge mais aussi recruter des indicateurs, organiser des planques ou proposer de l’argent contre des informations. Toutefois, toutes ces mesures ne sont pas applicables dans l’enceinte du Parlement. Les noms des cadres de l’AfD seront désormais fichés dans la banque de données des renseignements comme le sont ceux des terroristes d’extrême droite et des islamistes.
Les identitaires de l’AfD ont pris le pouvoir sur les modérés, selon les renseignements généraux. Dans un énorme rapport d’un millier de pages compilé en 2019 et qui sert de base à cette décision, ces derniers estiment que l’extrême droite allemande s’est radicalisée en devenant antisémite et raciste. Elle a des velléités antidémocratiques et les cadres dirigeants entretiennent une trop grande proximité avec les groupuscules néonazis, poursuit le rapport.
Les renseignements allemands ont rassemblé des preuves pendant plusieurs années pour justifier cette décision : déclarations publiques des cadres, vidéos de congrès, affiches électorales, documents écrits, activités sur les réseaux sociaux, etc. Ils en ont tiré la conclusion que l’AfD était devenue une menace pour la démocratie. Le parti, dans son ensemble, manifeste des «tendances anticonstitutionnelles» et bafoue le principe d’intangibilité de la dignité humaine inscrit à l’article 1 de la «Loi fondamentale» (Grundgesetz).
Revers de taille
Deux cadres du parti sont notamment dans la ligne de mire des autorités : le chef du groupe parlementaire et président d’honneur de l’AfD, Alexander Gauland, et l’agitateur Björn Höcke, président de la fédération régionale de Thuringe. Alexander Gauland, l’idéologue de l’AfD, ne cache pas sa sympathie pour le révisionnisme. Le nazisme ? «Du pipi de chat dans les mille ans de la grande histoire d’Allemagne», dit-il. Il a notamment réclamé le «recyclage» en Anatolie de l’ancienne ministre d’Etat à l’Intégration, Aydan Ozoguz, dont les parents sont des immigrés turcs.
Pas étonnant non plus que Gauland se soit toujours opposé à l’exclusion de Björn Höcke, leader de l’aile identitaire (völkisch-national), de l’AfD. Le président de la fédération régionale de Thuringe s’est illustré en dénonçant en public les «méthodes de reproduction des Africains» ou le mémorial de l’Holocauste à Berlin comme un «monument de la honte». C’est lui qui fut l’instigateur de la «marche silencieuse» antimigrants du 1er septembre 2018 organisée à Chemnitz aux côtés de groupuscules néonazis.
A moins de sept mois des élections législatives, c’est un revers de taille pour les dirigeants de l’AfD, un parti qui a obtenu 12,6 % à la même élection, en 2017, et qui constitue le premier parti d’opposition au Bundestag. La présidente du groupe parlementaire de l’AfD, Alice Weidel, estime que cette décision est «purement politique». Le parti veut contester cette décision devant le Conseil constitutionnel.