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Libération
Vague brune

Allemagne : victoire inédite de l’extrême droite dans un scrutin régional

L’extrême droite de l’AfD obtient une victoire très nette dans des élections régionales en Thuringe, et inflige une déroute historique aux trois partis de la coalition d’Olaf Scholz. L’Allemagne est sous le choc.
Les codirigeants de l'AfD Alice Weidel et Tino Chrupalla lors de leur conférence de presse à Berlin le 2 septembre 2024, au lendemain des élections régionales dans l'est du pays. (Tobias Schwarz/AFP)
par Christophe Bourdoiseau, correspondant à Berlin
publié le 1er septembre 2024 à 18h28
(mis à jour le 2 septembre 2024 à 8h16)

Malgré les avertissements des églises, des entreprises, des syndicats et des ONG, rien n’a empêché le tremblement de terre politique annoncé. Pour la première fois depuis la fin de la guerre, l’extrême droite est arrivée en tête d’une élection régionale. La Thuringe avait été, ironie de l’Histoire, la première à avoir été dirigée par des nazis en 1930.

Avec près de 33 % des voix, l’AfD (Alternative für Deutschland) devance même très largement les conservateurs (CDU) en Thuringe qui obtiennent seulement 24 %. L’extrême droite réussit l’exploit d’obtenir une minorité de blocage au parlement d’Erfurt avec plus d’un tiers des sièges. L’AfD pourra donc mener une politique d’obstruction systématique pour toutes les décisions concernant la Constitution comme la nomination de juges.

Pour les trois partis de la coalition, c’est plus qu’une débâcle électorale. Ils n’ont plus aucun poids politique en Thuringe. Le SPD du chancelier dépasse péniblement les 6 %. Quant aux deux alliés d’Olaf Scholz, ils disparaissent carrément du champ politique. Les libéraux du FDP plafonnent à 1 % et les écologistes à moins de 5 %. Ils sont éjectés du parlement régional.

Coalition contre-nature

Les conservateurs restent donc la dernière force politique capable de tenir tête à l’extrême droite dans l’est de l’Allemagne. Le score imposant de l’AfD va leur poser un gros problème pour former une coalition. La CDU refuse catégoriquement une alliance avec ce parti proche des néonazis et surveillé par renseignements généraux pour ses positions antidémocratiques. Björn Höcke, tête de liste de l’AfD en Thuringe, est en effet le patron de la fédération de la plus radicale d’Allemagne. Condamné par la justice pour avoir repris des slogans nazis dans ses discours, il a triomphé dimanche soir devant les caméras : «Nous sommes le parti populaire n° 1.»

La situation sera si compliquée pour les conservateurs qu’ils n’ont pas exclus, pour former un gouvernement, de faire appel au nouveau parti de la gauche populiste (BSW) emmenée par Sahra Wagenknecht, transfuge de la gauche radicale (Die Linke), qui a réalisé l’exploit de rassembler 16 % des voix. Les conservateurs sont prêts à négocier – au niveau régional – avec cette formation politique créée il y a seulement quelques mois par l’ancienne responsable de la «plate-forme communiste» du parti héritier du SED (parti unique de RDA) dans les années 90.

Par ailleurs, cette nouvelle gauche populiste rejoint l’extrême droite sur de nombreux thèmes comme l’Ukraine (arrêt des livraisons d’armes), sur la politique migratoire (fermeture des frontières), sur la fin des relations transatlantiques (pas de stationnement de missiles de longue portée américains en Allemagne), sur la politique énergétique (reprise des importations de gaz russe) et climatique (pas d’interdiction des voitures à moteur thermique). Sahra Wagenknecht veut également limiter l’influence du service public de radiodiffusion et les compétences des services de «protection de la constitution» (Verfassungsschutz), une institution essentielle de la Loi fondamentale allemande depuis la fin de la guerre pour défendre la démocratie.

Les négociations pour une coalition en Thuringe, une région considérée comme un laboratoire politique, s’annoncent donc très difficiles, Sahra Wagenknecht ayant mis comme condition l’arrêt des livraisons d’armes à l’Ukraine. Le secrétaire général de la CDU, Carsten Linnemann, a rejeté dès dimanche les exigences de l’égérie de cette gauche pro russe. «On ne fait pas de la politique internationale à Erfurt [la capitale de la Thuringe, ndlr]. Il s’agit de politique éducative, de politique économique, de sécurité intérieure, de thèmes qui concernent vraiment les gens», a-t-il prévenu.

Désaveu pour la CDU

La région de Saxe renouvelait également son parlement dimanche. Les résultats confirment l’émergence des partis populistes. Dans cet autre bastion de l’AfD, les conservateurs réussissent tout juste à se maintenir en tête (31,9 contre 30,6 à l’extrême droite). Là encore, Sahra Wagenknecht pourrait offrir une alternative aux conservateurs pour conserver la plus puissance région de l’Est qu’ils dirigent depuis 1990.

Pour le patron de la droite allemande, Friedrich Merz, c’est l’avenir de sa candidature à la chancellerie qui est se joue dans les prochaines semaines. La CDU a décidé d’attendre l’issue de ces élections à l’Est pour nommer son candidat aux législatives qui ont lieu dans un an. Or, le scrutin est un cruel aveu d’échec pour cet «anti-Merkel» qui s’est beaucoup engagé dans cette campagne des régionales avec, comme revendication, une autre politique migratoire… de plus en plus proche du programme l’AfD.

Le chef de l’opposition à l’assemblée fédérale (Bundestag), qui a toujours défendu le cordon sanitaire face à l’extrême droite, avait promis de «diviser par deux» le vote AfD en récupérant les déçus de la politique migratoire de l’ancienne chancelière. Or, les électeurs d’extrême droite ont triplé depuis son retour en politique en 2021. Dans son camp, les prétendants au trône sont nombreux. Parmi eux Markus Söder, le patron de Bavière, mais aussi le jeune Hendrik Wüst, le président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la plus puissante région d’Allemagne. Et Friedrich Merz ne fait pas partie des leaders plus populaires dans son parti.

Mis à jour à 19 h 20

Mis à jour lundi 2 septembre à 8 h 15, avec les résultats actualisés.