Elle est là pour que Srebrenica ne se reproduise «plus jamais, nulle part». Azra Barakovac, 66 ans, venue de Sarajevo, fait partie des milliers de personnes qui ont commencé à marcher «pour la paix», lundi 8 juillet, vers la ville tristement célèbre. La participante est partie en début de matinée du village de Nezuk, dans l’est de la Bosnie-Herzégovine, là où les premiers rescapés du massacre sont arrivés le 16 juillet 1995. La marche, qui doit durer trois jours, parcourt en sens inverse le chemin pris par les hommes ayant fui le génocide et s’arrêtera là où des fosses communes ont été découvertes. «Pour que tout le monde sache [ce qui s’est passé ici] et aussi pour être avec des gens de Srebrenica, pour leur montrer qu’ils ne sont pas seuls», a déclaré Azra Barakovac à l’AFP.
Reportage
Parmi les pèlerins figurent des survivants, des familles de victimes, mais aussi une nouvelle génération qui ne veut pas laisser s’éteindre ce souvenir. Resid Dervisevic, 64 ans, en fait partie. Il est parvenu à quitter Srebrenica en juillet 1995 et a marché sept jours à travers les bois pour échapper aux forces serbes, venues abattre méthodiquement 8 000 hommes et adolescents musulmans, puis atteindre la portion de territoire sous contrôle bosniaque. «J’ai survécu avec 250 grammes de sucre, raconte-t-il. Et quand nous sommes arrivés ici, sur ce territoire, les gens nous ont accueillis en nous donnant tout ce qu’ils avaient à manger et à boire.» L’émotion s’empare de lui et il peine à retenir ses larmes lorsqu’il confie à l’AFP : «Mes petites filles sont venues me voir [dimanche] avant mon départ pour la marche.» Revenir sur les lieux, livre-t-il, «ça réveille les émotions. Ce n’est jamais simple. Mais c’est plus facile de la faire maintenant qu’en 1995, sous la pluie de balles et d’obus, affamés, pieds nus, sans sommeil pendant des jours».
«Une reconnaissance publique importante»
Sous une chaleur matinale et harassante, Fatima Ibrahimbegovic Alic se confie, elle aussi,. «Mon père a été tué lors de la fuite, lâche-t-elle. Il s’appelait Ramiz et avait 45 ans. Je ne me sens pas bien, mais j’y vais pour lui, pour eux tous, pour parcourir ce chemin où ils ont souffert. Et il faut continuer pour ne pas oublier.» Dans le cortège, Ela Rehic, 14 ans, représentante de la nouvelle génération, souhaite, elle, «voir, vivre un peu ce que j’ai appris sur ceux qui ont fui Srebrenica». «Je viens avec une très grande émotion ici, embraye Tofik Sejdic, 24 ans. C’est important de ne pas oublier ce qui s’est passé dans ces années-là dans notre pays, et surtout à Srebrenica. Pour notre peuple, pour moi, Srebrenica est sacré.»
Ce mercredi 10 juillet, les marcheurs atteindront le centre mémorial de Potocari et ses milliers de stèles blanches. Le lendemain sera célébré le 29e anniversaire du génocide dans un contexte particulier : le 23 mai, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution – portée par l’Allemagne et le Rwanda – reconnaissant le caractère génocidaire du massacre, que Belgrade et les autorités serbes de Bosnie nient toujours. Elle a également fait du 11 juillet une journée internationale de commémoration. «Cette résolution, attendue de longue date, représente une reconnaissance publique importante des victimes et de leurs familles, avait alors réagi Jelena Sesar, spécialiste de l’Europe à Amnesty International. Elle rend un hommage justifié aux survivant·e·s qui se battent depuis près de tente ans pour conserver le souvenir des événements déchirants survenus à Srebrenica.»
D’autres événements organisés en Europe
Cette tuerie, la pire perpétrée en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, avait déjà été qualifiée de génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et la Cour internationale de justice. Des victimes du génocide ont été retrouvées dans plus de 80 fosses communes, certaines à des dizaines de kilomètres de la ville. Si 7 000 ont été exhumées, identifiées et enterrées, 1 000 demeurent portées disparues, selon Amnesty International.
Le président serbe, Aleksandar Vucic, avait dénoncé en mai, depuis New York, une résolution «hautement politique», qui «va ouvrir de vieilles blessures et provoquer des ravages politiques, pas seulement dans notre région, mais aussi ici», à l’ONU. «Il n’y a pas eu de génocide», avait de son côté martelé le chef des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik, en prévenant la communauté internationale qu’il rejetterait la résolution. «Nous vous disons tout de suite que nous ne l’accepterons pas. Ce ne sera pas inclus dans les programmes scolaires et nous ne commémorerons pas le 11 juillet.»
Ailleurs en Europe, le souvenir des victimes du génocide sera aussi célébré. D’abord à Londres, où une «marche pour la paix» sera organisée samedi 13 juillet à l’appel de l’association Remembering Srebrenica – London & South East, qui a pour objectif de sensibiliser le public sur le génocide. La semaine dernière, l’ONG avait déjà rassemblé «la communauté bosniaque de Londres pour sa veillée annuelle», avec des survivants invités à livrer leur témoignage. A Vienne, plus de 2 000 personnes ont aussi défilé le 7 juillet dans les rues sous la houlette du Consilium Bosniacum, groupement d’associations de Bosnie-Herzégovine en Autriche, en brandissant une banderole «N’oubliez pas Srebrenica, 11 juillet 1995».