Il fut une époque où l’on préférait ne pas se faire photographier avec lui. Mais depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, tout a changé dans cette Allemagne fédérale pourtant pétrie de courants pacifistes. Le patron du plus grand fabricant de munitions d’Europe n’est plus le mauvais garçon de l’économie allemande. «Les écologistes [qui sont au pouvoir] ont compris que les droits de l’homme étaient plus importants que le pacifisme», se félicite Armin Papperger pour qualifier cette nouvelle ère qui vient de s’ouvrir avec la guerre en Ukraine. «Ils étaient nombreux à ne pas vouloir nous fréquenter, confirme-t-il dans une interview au quotidien Tagesspiegel. Pour moi, ce n’était pas un problème. J’avais une carapace. Mais j’étais convaincu que nous contribuions à la protection de l’Allemagne, de l’Europe et de l’OTAN.»
Vendre des canons, pour lui, «ce n’est plus une honte». Il faut juste choisir son camp. «Il y a une différence entre construire un char pour un agresseur et pour quelqu’un qui veut se défendre, explique Armin Papperger dans ses nombreuses interviews à la presse. Notre philosophie a toujours été de travailler pour des pays qui ne sont pas des agresseurs.» Le vendeur d’armes est désormais sollicité de partout. Il a été invité pour la première fois à participer à une réunion des ministres de la défense de l’OTAN. Il est reçu en personne par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Le chancelier et le ministre de la Défense se sont déplacés personnellement en Basse-Saxe pour lancer la construction d’une nouvelle usine de munitions qui permettra d’augmenter la production à 700 000 unités par an. Il a surtout réussi un coup médiatique inimaginable avant la guerre : devenir sponsor du célèbre club de football du Borussia Dortmund. Le deal s’est fait avec quelques grincements de dents dans les tribunes des fans.
Ego surdimensionné
Les marchands de canons sont devenus des gens fréquentables. En deux ans, Armin Papperger s’est mué en un des meilleurs conseillers stratégiques du gouvernement. Il a démontré ses capacités à restructurer son entreprise en quelques mois pour produire des munitions de véhicules blindés jugés trop vieux, comme le Gepard, qui s’avère efficaces contre les drones russes. Son entreprise Rheinmetall a également joué un rôle essentiel dans la maintenance en Ukraine de matériels destinés à la casse, comme les chars de combat Leopard 1, mais aussi les véhicules blindés d’infanterie Marder.
Pas besoin d’être un expert financier pour comprendre la hausse vertigineuse de l’action de Rheinmetall, qui a crevé le plafond à la bourse en rejoignant le club prestigieux du Dax, l’indice des valeurs phares à Francfort. Le titre est passé de 100 euros le jour de l’invasion de l’Ukraine à plus de 500 euros aujourd’hui. Le chiffre d’affaires a atteint en 2023, un nouveau record de 7,2 milliards d’euros, et le bénéfice a grimpé de 14 % à 535 millions. Revigoré par sa nouvelle réputation, Armin Papperger donne son opinion dans la presse sur la défense européenne, les projets industriels franco-allemands auxquels il ne croit pas, ou sur le «tournant historique» («Zeitenwende») décrété par Olaf Scholz au début de la guerre. Doté d’un ego surdimensionné, il n’hésite pas à critiquer la lenteur de la bureaucratie, à commenter le budget de la défense, si bien qu’il donne l’impression d’être ministre, celui du Réarmement de l’Allemagne.
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Habillé d’un gilet pare-balles en Ukraine, l’homme d’affaires de 61 ans déclarait en 2023 : «Il est essentiel de soutenir l’Ukraine de manière efficace et fiable.» Pas étonnant, donc, que Poutine ait voulu l’assassiner – un projet d’attentat déjoué plus tôt dans l’année par les Etats-Unis et l’Allemagne. C’est du moins ce qu’affirme CNN, citant cinq responsables américains et occidentaux non identifiés. Moscou a rejeté vendredi ces accusations. Si l’on en croit les informations de Der Spiegel, le président russe avait pourtant bien des hommes de main en Allemagne pour le liquider. Les autorités n’ignoraient pas la menace. Déjà, en mai, elles avaient été alertées par des services étrangers de la préparation d’un attentat contre Papperger par des agents secrets russes.
Guerre hybride
La vie du patron de Rheinmetall a radicalement changé au cours des derniers mois. Il est accompagné par des gardes du corps jour et nuit. Une voiture de police est garée en permanence devant le siège de l’entreprise, à Düsseldorf. «L’ambiance rappelle les années noires du terrorisme de la RAF [Fraction Armée Rouge], où les grands patrons se protégeaient contre les attentats», commente Der Spiegel. Rheinmetall a créé une joint-venture (entreprise commune) avec le groupe ukrainien Ukroboronprom pour construire sur place des blindés de combat d’infanterie Lynx. Ses plans d’expansion en Ukraine, comme industriel privé, pourrait constituer une raison de plus pour Poutine de l’éliminer dans le cadre de sa guerre hybride qu’il mène depuis des années à l’Allemagne, le principal fournisseur européen d’armements.
En avril, deux Russes ont été arrêtés par la police, soupçonnés d’avoir planifié des attentats sur ordre de Moscou. On suppose que le Kremlin est à l’origine de plusieurs incendies et sabotages sur des infrastructures ferroviaires et industrielles stratégiques, notamment contre des fournisseurs de matériels militaires pour l’Ukraine, comme Diehl. Enfin, le parquet de Berlin est persuadé que Poutine est à l’origine de l’exécution par balles, en août 2019 au cœur de la capitale allemande, de l’ancien combattant tchétchène Zelimkhan Khangoshvili.