Il ne devait sortir de prison qu’en 2030, après avoir purgé la peine de vingt ans dont il a écopé pour son rôle dans une des affaires les plus emblématiques du durcissement autoritaire de la présidence de Vladimir Poutine en Russie : l’assassinat à Moscou de la journaliste Anna Politkovskaïa, le 7 octobre 2006. Mais Sergueï Khadjikourbanov en a déjà fini avec la justice. L’avocat de l’ex-policier annonce ce mardi 14 novembre que son client a été gracié par le chef de l’Etat, qui l’a ainsi remercié d’avoir rejoint en 2022 les troupes russes engagées dans la guerre en Ukraine. «Il lui a été proposé un contrat pour y participer. Il l’a fait et quand le contrat s’est terminé, il a été gracié sur décret du Président», précise l’avocat. Selon lui, l’armée russe a fait appel à Sergueï Khadjikourbanov du fait de son expérience dans une unité des forces spéciales.
Des commanditaires jamais identifiés
«C’est une monstrueuse injustice arbitraire, une profanation de la mémoire d’une personne tuée pour ses convictions et la réalisation de son devoir professionnel», déplorent dans un communiqué la famille d’Anna Politkovskaïa et son ancien employeur, Novaïa Gazeta, dans les pages duquel la journaliste avait publié de nombreuses enquêtes critiquant le régime et plus particulièrement la guerre en Tchétchénie, dans le Caucase russe. La grâce accordée par Vladimir Poutine ne signifie aucunement «une preuve de l’expiation et des remords du meurtrier», insistent les signataires du communiqué. Sur le réseau social X (ex-Twitter) le secrétaire général de Reporters sans drontières (RSF), Christophe Deloire, a pour sa part dénoncé le «cynisme habituel du chef du Kremlin».
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Plusieurs autres personnes, en plus de Sergueï Khadjikourbanov, ont été condamnées pour le meurtre d’Anna Politkovskaïa, âgée de 48 ans au moment de sa mort, au terme d’une longue procédure rythmée par plusieurs procès. L’organisateur logistique de l’assassinat, Lom-Ali Gaïtoukaïev, est mort en prison en 2017. Son neveu Roustam Makhmoudov a été reconnu coupable d’avoir abattu la journaliste dans le hall de son immeuble, et purge une peine à perpétuité. Les commanditaires n’ont en revanche jamais été identifiés, mais plusieurs opposants soupçonnent Ramzan Kadyrov, le dirigeant de la Tchétchénie, qui a toujours démenti. En 2018, la Russie a été condamnée pour manquements dans l’enquête par la Cour européenne des droits de l’homme, qui avait estimé qu’«aucun effort n’a été fait pour identifier le commanditaire du meurtre».
«Les condamnés expient leur crime par le sang sur le champ de bataille»
Depuis le début de la guerre en Ukraine, des dizaines de milliers de détenus russes ont signé des contrats avec des formations paramilitaires telles que le groupe Wagner leur permettant de retrouver la liberté. Ces hommes ont souvent servi dans les secteurs les plus dangereux du front et, de l’aveu même du défunt patron de Wagner, Evgueni Prigojine, y ont été utilisés comme de la chair à canon. Cette politique est publiquement assumée par le Kremlin. «Les personnes condamnées, y compris pour des crimes graves, expient leur crime par le sang sur le champ de bataille», a déclaré vendredi Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. Sergueï Khadjikourbanov se trouve toujours sur le front, selon son avocat, qui précise que son client «a signé un nouveau contrat en tant que volontaire et combat désormais dans des fonctions de commandement» et se dit «convaincu de l’innocence» de celui-ci.