Les soldats bélarusses ne se seront jamais autant entraînés. En mai, des exercices surprises pour tester la réactivité de l’armée ont duré presque tout le mois. Ils ont passé en revue jusqu’aux réserves militaires et, pour certaines unités, les manœuvres ne sont toujours pas achevées. Avant même leur fin, le ministre de Défense en a annoncé de nouvelles, de «préparation au combat» cette fois, qui impliqueront toutes les branches de l’armée à partir du 22 juin. L’objectif est de planifier la «transition du temps de paix au temps de guerre».
«La menace est élevée»
Ces bruits de bottes ont de quoi inquiéter le voisin ukrainien. Durant les premières semaines de l’invasion russe, les colonnes de chars qui ont enserré Kyiv sont descendues du Bélarus avec la bénédiction de Minsk. Sous couvert d’exercices communs, les soldats bélarusses ont servi de soutien logistique à l’armée russe. Sur les 2 100 frappes de missiles qui ont touché l’Ukraine au cours des trois premiers mois de guerre, au moins 633 sont parties du sud du Bélarus. Lors du pire jour de bombardement, le 1er avril, 56 missiles ont été lancés pour couvrir la retraite de l’armée russe qui abandonnait le siège de Kyiv. L’Ukraine a serré les dents et n’a jamais répliqué pour ne pas offrir de prétexte à Minsk d’entrer en guerre.
Avec la concentration des combats dans le Donbass, le rôle du Bélarus et l’attention accordée au pays ont diminué. Le nombre de soldats russes qui y étaient stationnés a nettement chuté, passant d’environ 30 000 à moins de 1 000 hommes, selon le Belarusian Hajun Project qui surveille l’activité militaire sur le territoire. Mais depuis plusieurs semaines, le Bélarus redevient menaçant. Roman Kostenko, député ukrainien et gradé des services de sécurité, estimait le 3 juin qu’une nouvelle attaque sur Kyiv par le nord se faisait de plus en plus plausible. «Nous considérons que la menace est élevée. Mais pour que les Russes soient capables de mener l’offensive, ils doivent soit déclarer la mobilisation générale, soit convaincre les Bélarusses de participer à la guerre.» Jusqu’ici, le régime comme, semble-t-il, l’armée ont freiné des quatre fers face à cette éventualité. Les très lourdes pertes infligées aux Russes ont inquiété le pouvoir et l’autocrate Alexandre Loukachenko a réussi à marcher sur une ligne étroite, entre soutien affiché à l’offensive russe et non-engagement de ses soldats.
Pourtant, au sud du Bélarus, à la frontière avec l’Ukraine, l’activité militaire continue à augmenter. En l’espace d’un mois, les forces spéciales bélarusses ont été déployées dans trois secteurs proches de la frontière, un nouveau commandement opérationnel a été créé dans le Sud et l’armée russe aurait installé une batterie de missiles Iskander dans la région de Brest, au sud-ouest du pays. Selon l’état-major ukrainien, le génie bélarusse est en pleine activité pour renforcer les points de contrôle à la frontière, où de nouveaux équipements de guerre électronique destinés à brouiller les communications auraient été déployés.
«Bluff chorégraphié par le Kremlin»
Ces signaux menaçants se sont doublés d’une allusion lâchée par Loukachenko le 10 juin. L’autocrate a évoqué la possibilité que le Bélarus entre en guerre pour «protéger» l’ouest de l’Ukraine d’une offensive de l’Otan. L’hypothèse est loufoque mais elle participe à mettre la pression sur la défense ukrainienne, déjà très prise par les combats dans le sud et la sanglante offensive du Donbass. «Les sceptiques voient dans ces démarches un bluff bélarusse élaboré et chorégraphié par le Kremlin. Son objectif serait de forcer l’Ukraine à renforcer ses défenses dans le nord du pays tout en empêchant le redéploiement de ses troupes vers le Donbass», pointe Peter Dickinson de l’Atlantic Council dans une note récente.
Depuis le début de la guerre, la physionomie de la frontière a déjà bien changé côté ukrainien. L’armée a creusé des nouvelles lignes de défense, avec tranchées et postes fortifiés pour remplacer les checkpoints qui n’ont pas ralenti les colonnes russes aux premières heures de la guerre. Par manque de moyens, les hommes qui les occupent sont souvent membres de la défense territoriale et non de l’armée régulière.
Pour Loukachenko, les démonstrations de préparation de l’armée bélarusse sont aussi un gage de loyauté à bas coût donné au Kremlin. L’autocrate sait que son destin est lié à celui de Poutine. Une défaite russe affaiblirait largement son parrain dont le soutien financier lui est indispensable pour se maintenir au pouvoir. Paradoxalement, une victoire pourrait aussi aiguiser l’appétit de Moscou et mettre un peu plus en péril l’indépendance déjà relative de Minsk.
Milice du peuple
A sa manière, Loukachenko prépare l’après. Le 27 mai, la création d’une «milice du peuple» destinée à soutenir l’armée a été annoncée. Officiellement, il s’agit de muscler la défense du pays face à une invasion étrangère. «Le nombre de défenseurs de notre patrie va augmenter de manière significative. La réponse sera adéquate si quelqu’un s’aventure sur nos terres», a déclaré le ministre de la Défense. Pour en remplir rapidement les rangs, Loukachenko aurait réclamé à l’association des chasseurs et pêcheurs de lui fournir 5 000 hommes capables de se servir d’une arme.
Aux yeux de l’opposition, c’est une tentative désespérée de plus pour conserver le pouvoir, alors qu’un réseau de «partisans» opère dans le pays pour saboter les voies ferrées qui servent au transport de matériel militaire. Cette semaine, la cheffe de file de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa a suggéré que ces tactiques de guérilla pourraient ensuite être utilisées pour mener à bien le «dernier combat» contre l’autocrate. Loukachenko «comprend que de plus en plus de personnes sont contre lui parce qu’il brade notre indépendance. Je suis certaine que lorsque le moment sera venu, le peuple se soulèvera à nouveau», a-t-elle ajouté.