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Autoritarisme

Au Bélarus, la répression «a atteint un niveau de folie totale»

Exil de masse, tortures, perquisitions et arrestations arbitraires par dizaines de milliers… Le régime du dictateur Alexandre Loukachenko écrase toujours plus toute dissidence, deux ans après la contestation d’août 2020.
Alexandre Loukachenko dans un camp d'entraînement militaire d'Assipovitchy au Bélarusse, le 17 février. (AP)
par Patrice Senécal, correspondant à Varsovie
publié le 21 novembre 2022 à 16h39

L’ambiance qu’elle dépeint, depuis son Bélarus natal, relève de la dystopie. «Tout le monde, inconsciemment, est prêt à ce qu’on vienne toquer à sa porte pour l’arrêter.» Lioudmila, la vingtaine, n’a pourtant rien du profil d’une opposante de premier plan au régime d’Alexandre Loukachenko. Cette habitante d’une localité de l’ouest du pays, qui préfère taire sa véritable identité, a participé au mouvement de contestation inédit déclenché, le 9 août 2020, par une nouvelle fraude électorale du despote de Minsk. La répression, depuis, «a atteint un niveau de folie totale», relate-t-elle via une messagerie cryptée : «La publication d’un commentaire sur Internet est passible de prison.»

«Logique de purge et de vengeance»

Ils paraissent loin, ces temps de liesse où déloger le «dernier dictateur d’Europe, au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle, semblait à portée de main. Semaine après semaine, drapés de blanc-rouge-blanc, étendard de l’opposition démocrate, ils demandaient des élections libres. Deux ans plus tard, la ferveur des débuts s’est dissipée. Telle une manière vindicative d’exhiber la crispation totalitaire de l’autocrate, dans la ville de Lioudmila, le drapeau rouge et vert du régime est désormais omniprésent, «sur les commerces, écoles, institutions étatiques, hôpitaux». La dissidence a été soit enfermée, soit contrainte à l’exil. Médias indépendants et ONG liquidés, cas de tortures, arrestations… L’ONG Viasna recense plus de 1 400 prisonniers politiques, et le chiffre ne cesse d’augmenter. Les détracteurs du régime ayant trouvé refuge en Pologne ou en Lituanie peuvent aussi être traqués, harcelés. Enième dérive orwellienne, le signe de ralliement de l’opposition «Zyvie Belarus» («vive le Bélarus») a été qualifié, il y a peu, de «symbole nazi».

L’appareil de répression tous azimuts s’intensifie, provoquant «un climat de peur et d’angoisse dans toute la société», estime Anaïs Marin, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Bélarus. Avec, chaque jour, de nouvelles perquisitions arbitraires. «C’est une répression cynique, car rétroactive, avec la criminalisation d’actes traités au titre administratif auparavant. Il y a des condamnations contre des personnes qui n’ont jamais joué de rôle visible dans les manifestations [désormais accusées d’extrémisme, ndlr]», explique-t-elle à Libération. Il s’agit là d’une «logique de purge et de vengeance», donnant aux Bélarusses trois choix : loyauté, exil ou cachot.

«Des otages dans leur propre pays»

Faute de pouvoir sortir dans la rue, la révolution prend une forme souterraine. «La colère ne s’est pas éteinte», pense la journaliste indépendante en exil Hanna Liubakova. Des dizaines d’actes de sabotage ont d’ailleurs eu lieu depuis le 24 février au Bélarus pour freiner l’acheminement de matériel militaire russe. «Ces partisans du rail font face à la peine de mort. Les Bélarusses, qui s’opposent massivement à la guerre, sont des otages dans leur propre pays», alors que le territoire du pays sert de base arrière au Kremlin, dont Loukachenko est devenu le vassal. Le désarroi habite nombre de Bélarusses, comme Lioudmila. «Le plus triste dans tout cela, c’est que nous avons perdu espoir… Ni Svetlana Tikhanovskaïa [l’opposante numéro 1 au régime, ndlr] ni l’Union européenne n’inspirent désormais de perspectives positives.»