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Scrutin

Au Groenland, des élections législatives entre envie d’indépendance et menaces de Trump

Les 57 000 habitants du territoire autonome danois sont appelés aux urnes ce mardi 11 mars pour un vote dont l’une des principales questions sera la relation avec la puissance tutélaire, sur fond d’appétit américain.

A Nuuk, la capitale groenlandaise, le 8 mars 2025. (Evgeniy Maloletka/AP)
Publié le 10/03/2025 à 12h51

L’indépendance pour le Groenland, oui mais quand ? Les habitants de ce territoire autonome danois votent ce mardi 11 mars lors d’élections législatives dont l’un des enjeux est de déterminer à quel moment rompre les amarres avec Copenhague, l’actuelle puissance tutélaire, sans tomber dans l’escarcelle des Etats-Unis.

Donald Trump est «imprévisible et, de ce fait, inquiète les gens», a déploré le Premier ministre groenlandais Mute Egede dans une interview à la télévision publique danoise DR, diffusée lundi à la veille du scrutin. Malgré l’insistance de la nouvelle administration américaine à vouloir «prendre» le Groenland, le chef du gouvernement a répété que ses concitoyens ne veulent être ni danois ni américains. «Ce qui s’est passé récemment, ce que le président américain a dit et fait… Tout cela fait qu’on ne veut pas être si proche [des Etats-Unis] comme on a peut-être voulu l’être auparavant», a-t-il expliqué, reprochant au président Trump de ne pas les traiter «avec respect».

Reste que l’insistance parfois menaçante du président américain à prendre possession du Groenland a donné un coup de fouet aux aspirations indépendantistes parmi les 57 000 habitants du territoire. La question a pris une grande place dans la campagne électorale, au milieu de thèmes comme l’éducation, les affaires sociales, la pêche – 90 % des exportations de l’île – et le tourisme. La quasi-totalité des partis politiques souhaitent que l’immense territoire glacé, 50 fois plus grand que le Danemark mais 100 fois moins habité, vole de ses propres ailes.

Si l’envie d’indépendance est largement partagée, les formations politiques en lice pour se disputer les 31 sièges du Parlement divergent sur le calendrier : «fast track» (voie rapide) ou plus long terme ?

Parmi les plus impatients, le parti nationaliste Naleraq (opposition), très visible pendant la campagne, réclame d’entamer rapidement le processus d’indépendance. Au précédent scrutin en 2021, il avait recueilli 12 % des voix. «L’intérêt que nous constatons, non seulement de la part des Etats-Unis mais aussi du monde entier, […] joue en notre faveur», a estimé Juno Berthelsen, l’un de ses candidats les plus en vue. L’indépendance ? «On peut se hasarder à prédire que cela se fera dans un ou deux cycles électoraux» de quatre ans chacun, a-t-il avancé. Mais «cela dépendra de la façon dont les négociations se dérouleront entre le Groenland et le Danemark».

L’indépendance, un «objectif final»

Colonisée par les Danois il y a plus de trois siècles, l’île de l’Arctique a gagné son autonomie en 1979, mais les fonctions régaliennes (Affaires étrangères, Défense…) lui échappent encore. Depuis une loi de 2009, les Groenlandais peuvent déclencher eux-mêmes le processus d’indépendance qui suppose de négocier un accord avec Copenhague, lequel doit ensuite être approuvé par référendum au Groenland et par un vote au Parlement danois.

Les deux composantes de la coalition sortante, Inuit Ataqatigiit (IA, formation gauche-verte du Premier ministre Mute Egede) et Siumut (parti social-démocrate), sont globalement moins pressées, même si des divisions internes peuvent exister. Le territoire, selon elles, doit avant tout atteindre une certaine viabilité économique alors que l’aide annuelle d’environ 530 millions d’euros versée par Copenhague représente un cinquième de son PIB.

«Les discussions sur l’indépendance sont toujours sur la table. C’est l’objectif final pour beaucoup d’entre nous au Groenland, mais ce sera dans dix, vingt ans ou plus», a affirmé Aaja Chemnitz, membre d’IA et l’une des deux représentantes du Groenland au Parlement danois. «Il est important de parler du développement économique du Groenland et de voir comment nous le faisons de manière beaucoup plus durable», a-t-elle souligné.

Le chef de Siumut, Erik Jensen, ministre des Finances sortant, s’agace, lui, que la question de l’indépendance ait éclipsé, en tout cas dans les médias étrangers et danois, celles liées au quotidien des gens. L’indépendance, «c’est aussi un aspect important de notre programme, mais tout le monde ici au Groenland parle de santé, des écoles et des crèches», a-t-il rappelé.

Les nombreuses grues hérissées au-dessus de Nuuk, la capitale groenlandaise, témoignent d’une modernisation rapide qui a rendu vulnérable une partie de la population très majoritairement inuite, tournée vers la chasse et la pêche. Visible à l’œil nu, la misère sociale se retrouve aussi dans les statistiques : un taux de suicide parmi les plus élevés au monde, un nombre d’avortements supérieur à celui des naissances ou encore une espérance de vie de moins de 70 ans chez les hommes.