Promu avec force depuis des décennies par les autorités régionales nationalistes, le catalan occupe une place centrale en Catalogne. Mais pas suffisamment, aux dires des indépendantistes au pouvoir régional. Et ce, alors que la langue partage avec le castillan un statut officiel dans les administrations, à l’école et dans les médias publics, autant de lieux où en pratique, en tant que langue véhiculaire, il domine. Mais comment faire pour que le catalan soit prépondérant partout ? Dans les rues, les cages d’escalier, les cours de récréation, les halls d’université, les bureaux des entreprises, soit là même où il est en recul ? Depuis les années 80, le Département de politique linguistique, dépendant du gouvernement régional, se gratte la tête. L’instance dépense des millions d’euros, notamment en offrant des cours de langue gratuits pour non-catalanophones, en obligeant les commerçants à étiqueter leurs produits dans l’idiome local, ou encore en finançant des campagnes de promotion, quitte à s’en prendre à l’espagnol, qualifié «d’hégémonique».
Une nouvelle initiative inédite a été lancée récemment : plusieurs communes de la province de Gérone promeuvent «le catalan en 21 jours». Elles appartiennent au Consortium pour la normalisation linguistique, le CPNL, en bonne partie financé par la Generalitat, l’exécutif régional dominé par les indépendantistes. Leur credo : «Si nous dissimulons le catalan, il devient superflu.» Concrètement, la campagne invite tous les catalanophones à parler d’emblée leur langue à tout inconnu, même si cette personne lui adresse la parole en castillan ou si cette personne n’a pas un aspect «autochtone».
«No me canviïs la llengua»
L’opération, qui a vu jour à l’automne à Sant Coloma de Farnes (environ 13 000 habitants), s’étend désormais à Salt, Breda, Llagostera, Figueras, et s’intitule «No me canviïs la llengua», littéralement «Ne change pas ma langue». L’idée est de pratiquer un unilinguisme de rigueur, quel que soit le profil de l’interlocuteur, pendant vingt et un jours d’affilée, période suffisante selon les experts pour modifier une habitude. Pour reprendre les propos du CNL, «c’est un petit geste réitéré, nécessaire, pendant trois semaines afin que le cerveau l’adopte et le fasse sien en toute normalité». A l’en croire, huit catalaphones sur dix abandonnent leur langue lorsque quelqu’un leur parle en castillan. «Cette conduite est létale pour la survie du catalan, car elle fait en sorte qu’il disparaisse de tous les espaces et complique la tâche de ceux qui, ne le parlant pas, puissent l’apprendre.»
Selon les statistiques officielles, sur les 7,6 millions de Catalans, 36,3 % utilisent comme langue prioritaire et habituelle le catalan, 50,7 % le castillan, alors que 6,8 % recourent aux deux idiomes de manière indéterminée. L’ultra droite espagnoliste a réagi avec férocité à la campagne. Sergi Fabri, un des trois élus du parti Vox à Salt, a précisé que «c’est une preuve supplémentaire de l’attitude totalitaire et discriminatoire» des séparatistes. Pour Libertad Digital, un journal en ligne très marqué à droite, «la campagne parle de se défaire d’une mauvaise habitude, comme fumer ou se ronger les ongles. Comme peut-on mettre au même niveau le fait de s’exprimer en espagnol ?»
Politique scolaire immersive
En Espagne, le statut du catalan est conflictuel. Comme d’autres langues (galicien, basque, valencien…), il est co-officiel dans la région où il est parlé. Mais les indépendantistes au pouvoir à Barcelone rêvent d’instaurer son hégémonie au détriment du castillan, alors même que son emploi est en déclin depuis 2003, lorsque 46 % des habitants parlaient catalan la majorité du temps. Cette opposition est belligérante et crée des heurts continuels. Le dernier en date étant l’obligation d’enseigner 25 % des cours en castillan dans les écoles catalanes, récemment confirmée par le Tribunal constitutionnel, mais à laquelle l’exécutif régional refuse de se soumettre.
La campagne «No me canviïs la llengua» entend refuser la fatalité d’un déclin dû, en bonne partie, à l’immigration. Entre 1950 et 1975, 1,5 million de gens venus de toute l’Espagne ont pu s’intégrer en catalan grâce à une politique scolaire immersive. Depuis deux décennies, une immigration venue d’Europe ou d’Afrique a compliqué les choses. «Si tu arrives dans un territoire où les catalanophones ne sont plus majoritaires, il est difficile que tu considères la langue comme une façon de s’intégrer, et cela t’enlève de la motivation pour l’apprendre et la pratiquer», souligne la sociolinguiste Maite Puigdevall. La droite classique du Parti populaire ne s’est toujours pas prononcée sur la question. Et pour cause : en Galice, région qu’elle gouverne, 12 collèges publics ont lancé une initiative semblable avec la langue régionale, elle aussi en recul.