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Lobbying

Au Royaume-Uni, David Cameron et plusieurs ministres soupçonnés de conflits d’intérêts

L’ancien Premier ministre britannique est accusé d’avoir fait du lobbying auprès du gouvernement pour sauver la société qu’il conseillait, Greensill, laquelle a déposé le bilan en mars 2020. David Cameron et l’actuel ministre de l’Economie doivent s’expliquer devant un comité parlementaire.
L'ancien Premier ministre britannique David Cameron, en 2017. (Justin Tallis/AFP)
publié le 20 avril 2021 à 15h51

C’est le plus gros scandale politique britannique depuis 2009 et l’affaire des fausses notes de frais des parlementaires britanniques. Outre-Manche, une affaire de conflits d’intérêts et de favoritisme éclabousse ministres et hauts fonctionnaires depuis une semaine. Au cœur des accusations, l’ancien Premier ministre britannique David Cameron. L’ex-leader des conservateurs est accusé d’avoir mené une campagne de lobbying agressif auprès du gouvernement en avril 2020 au profit de la société financière Greensill, qu’il conseille contre rémunération depuis son départ du 10, Downing Street en 2016. La société était gérée par Lex Greensill, banquier australien et conseiller de l’ancien dirigeant alors qu’il était à Downing Street entre 2010 et 2015. David Cameron et le ministre de l’Economie, Rishi Sunak, les deux acteurs clés de cette affaire, doivent s’expliquer devant un comité parlementaire de la Chambre des communes ce mardi.

«Mauvaise interprétation»

C’est une révélation autour de textos qui a d’abord provoqué l’indignation collective après des révélations dans les médias. En mars 2020, Greensill Capital, spécialisée dans les prêts à court terme, dépose le bilan, menaçant des milliers d’emplois dans l’industrie sidérurgique, notamment la multinationale GFG Alliance. Pour sauver la société, David Cameron fait alors jouer ses contacts haut placés. Début avril, il envoie une série de textos directement au ministre de l’Economie, ainsi qu’à deux autres fonctionnaires du ministère, demandant d’inclure Greensill dans les bénéficiaires des financements réservés aux entreprises en difficulté à cause de la pandémie. Ces échanges, où Rishi Sunak affirme avoir soumis les demandes de David Cameron à ses équipes, ont été dévoilés le 9 avril par le chancelier de l’Echiquier lui-même «afin de prouver qu’il avait agi avec intégrité et convenance».

Sous pression, le Premier ministre, Boris Johnson, ordonne dans la foulée une enquête indépendante. Elle doit rendre ses conclusions en juin. En parallèle, trois commissions parlementaires et le National Audit Office, organisme chargé du contrôle et de l’audit des administrations publiques britanniques, vont mener leurs propres investigations. En tout, sept enquêtes ont été lancées. Devant les faits, David Cameron a admis du bout des lèvres qu’il aurait dû agir autrement mais a catégoriquement rejeté «tout comportement répréhensible». L’ancien chef du gouvernement «répondra avec plaisir» aux convocations aux auditions, a-t-il promis. «Je reconnais que les communications avec le gouvernement doivent avoir lieu exclusivement par les canaux les plus formels, afin qu’il n’y ait pas de place à une mauvaise interprétation», a-t-il déclaré dans la presse ce dimanche. Histoire d’essayer d’éteindre l’incendie en cours.

«Comportement immoral»

Mais le mal est déjà fait. A Westminster, ce scandale expose les lois qui encadrent le lobbying, modifiées justement durant l’ère Cameron. «Il semble qu’il n’y avait pas de barrière du tout», a jugé jeudi Eric Pickles, à la tête de l’organisme qui valide le passage de fonctionnaires dans le privé, à propos de Greensill. L’ancien ministre conservateur, sous Theresa May, a appelé à davantage de transparence. Car ce n’est pas seulement l’ancien Premier ministre Cameron qui serait concerné. Au moins un haut fonctionnaire et un autre conseiller étaient rémunérés par Greensill alors qu’ils travaillaient toujours pour le gouvernement. Enfin, le ministre de la Santé, Matt Hancock, qui a rencontré David Cameron et Lex Greensill en 2019 afin de discuter d’un nouveau mécanisme de paiement pour le National Health Service (NHS), le service de santé publique, est lui aussi concerné par les investigations. C’est pourquoi, dans le cadre d’une enquête plus large, la commission de l’administration publique et des affaires constitutionnelles devrait faire appel aux anciens Premiers ministres et à certains ministres pour déterminer si les textes de lois encadrant le lobbying sont assez restrictifs.

L’affaire a alimenté les accusations de favoritisme, portées par l’opposition. Et à trois semaines des élections locales, les travaillistes ne se privent pas pour attaquer. «Chaque jour qui passe apporte la preuve du comportement immoral de ce gouvernement conservateur», a lancé le 14 avril, le leader du parti, Keir Starmer, à Boris Johnson en pleine séance parlementaire. Pour Anneliese Dodds, députée travailliste, ces messages «soulèvent de très sérieuses questions sur la question de savoir si le ministre de l’Economie a pu enfreindre le code ministériel». Un autre député Labour, Steve Reed, lui estime que «les pratiques douteuses sont bel et bien de retour chez les conservateurs» et que les révélations de Greensill sont «vraiment choquantes». Au gouvernement, on défend toute entrave au code ministériel. «Pour moi, David Cameron a méticuleusement observé les règles qu’il a lui-même mises en place» lorsqu’il était au pouvoir, a rétorqué, dimanche sur Sky News, le ministre de l’Environnement George Eustice.