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Analyse

Autriche : le chancelier Sebastian Kurz tombe, mais le système demeure

Soupçonné de corruption, le chancelier conservateur de l’Autriche a annoncé sa démission samedi soir. Mais le réseau et les pratiques mises en place par Sebastian Kurz pour accéder au pouvoir pourraient perdurer.
Sebastian Kurz a annoncé sa démission de la chancellerie samedi soir. (Lisi Niesner/REUTERS)
publié le 10 octobre 2021 à 10h38

D’autres, à la même place auparavant, n’étaient pas parvenus à totalement cacher leur agitation. Lui a prononcé son allocution sans déroger d’un cheveu à son style habituel : gestes calibrés des avant-bras, débit lent, petit sourire intermittent. Sebastian Kurz a annoncé samedi soir sa démission du poste de chancelier. Le dirigeant conservateur du gouvernement autrichien, dont on a appris mercredi qu’il faisait l’objet d’une enquête pour corruption, a expliqué se retirer pour assurer la «stabilité» du pays, tout en réaffirmant que les reproches à son encontre étaient «faux». Il a proposé le nom de son ministre des Affaires étrangères, le diplomate Alexander Schallenberg, pour prendre sa relève.

L’enquête qui vise Kurz concerne des faits ayant eu lieu entre 2016 et 2018. Le parquet anticorruption autrichien soupçonne celui qui était à l’époque un simple ministre (jusqu’en décembre 2017) d’avoir détourné, avec l’aide de son entourage, des fonds publics pour acheter une couverture favorable dans un journal de type tabloïd, sur la base de sondages manipulés. Les dix personnes suspectées démentent.

Pari périlleux

Cette démission met-elle fin aujourd’hui à la crise gouvernementale déclenchée par la révélation de ces soupçons ? Pas sûr. Car le Parti populaire autrichien de Sebastian Kurz ne gouverne pas seul, il dépend d’une coalition avec les Verts. Or, il n’est pas entièrement exclu que ceux-ci mettent fin à leur participation gouvernementale, à court ou moyen terme. Ils pourraient encore faire le pari périlleux de monter une nouvelle coalition avec les autres formations représentées au Parlement. La séance parlementaire exceptionnelle qui se tiendra mardi permettra probablement d’en savoir plus.

Pour les Verts, une nouvelle coalition permettrait d’écarter plus fermement du pouvoir le chancelier démissionnaire. Celui-ci a en effet annoncé, en même temps que son retrait, son intention de prendre la direction des députés conservateurs, premier groupe au Parlement. Une position que le politologue le plus connu du pays, Peter Filzmaier, décrivait samedi à la télévision comme le «second poste le plus important» de la République.

En s’appuyant sur ses alliés toujours en place au gouvernement, en tête desquels Alexander Schallenberg, Sebastian Kurz pourrait encore disposer d’une grande influence. «Kurz va continuer à tirer les ficelles en sous-main», estimait la cheffe des sociaux-démocrates, Pamela Rendi-Wagner, dans une première réaction samedi soir. Pour la dirigeante de gauche, «Kurz s’en va, mais le système turquoise perdure».

Grand cynisme

L’idée d’un tel «système turquoise» ou «système Kurz» – le turquoise est la couleur qu’il a donnée à son parti lors de sa reprise en main en 2017 – s’est largement répandue dans l’opposition et les médias ces derniers jours. L’ampleur des mécaniques de la corruption médiatico-politique que pense avoir découvertes le parquet serait «à vous en dessécher la bouche», a même laissé échapper le chef du service politique de la très sérieuse radio publique Ö1.

Mais au-delà de ces éventuels délits sur lesquels la justice devra trancher, c’est une autre facette de la personnalité Kurz que le public a maintenant découverte. Les médias ont en effet publié une série de messages personnels échangés entre lui et ses proches, ou entre ses proches entre eux. Les procureurs ont pu y avoir accès suite à des perquisitions et ils s’en servent pour étayer leurs soupçons. Ces textos, documents exceptionnels sur les coulisses de l’ascension spectaculaire de Kurz à partir de 2016, sont rédigés dans un ton âpre, parfois méprisant, et laissent transparaître un grand cynisme politique. Le contraste est saisissant par rapport au style public du jeune dirigeant de 35 ans, particulièrement lisse. Lors de son allocution samedi soir, ce ton dans ses écrits, dû selon lui à l’émotion du moment, est d’ailleurs la seule «faute» qu’il a admise.