Il y a quelque chose d’émouvant chez Lidia Cruz, cheveux châtain frisés, institutrice quinquagénaire pleine d’énergie au sourire désarmant. Son tee-shirt vert dit «Guanarteme, en risque d’extinction». Le slogan est auréolé du dessin d’une sorte de surhomme barbu à la longue chevelure : un certain Tenesor Semidán, alias Fernando Guanarteme, dernier roi indigène des Canaries, mort en 1496 peu avant la colonisation de l’archipel par les Espagnols. Guanarteme, c’est aussi le quartier populaire où elle vit depuis un demi-siècle, au numéro 17 de la rue Luchana, une maison modeste à l’ancienne, avec sa mère et ses deux filles. A une encablure de là, elle désigne deux édifices flambant neufs de 12 et 17 étages, et un chantier gigantesque qui a coupé la rue en deux pour y édifier un complexe hôtelier. Les pelleteuses y bataillent contre des remontées d’eau du sous-sol.
«Vous croyez qu’on aurait été consultés pour ces folies démesurées ? C’était un quartier tranquille, d’ouvriers, avec ses garages, ses ateliers et sa fabrique de tabac. Et aujourd’hui ces monstres de béton, et le bruit, et les camions, et la fatigue nerveuse. Dans ce nouveau chantier, le 35m² y est annoncé à au moins 900 euros. Qui peut s’offrir cela ici ? interroge-t-elle. Personne. Les gens partent vers la périphérie insalubre, les jeunes en premier. Le tissu social est mort, je ne reconnais plus personne. Moi, une Canarienne de génération en génération ! Spéculateurs, constructeurs, politiques, ils o