Menu
Libération
Intégration

Balkans : un «mini-Schengen» entre l’Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie

Les trois pays, qui peinent à intégrer l’Union européenne, se sont mis d’accord sur le projet «Open Balkan» qui facilite d’ici à 2023 les passages des biens et des personnes au passage de leurs frontières.
Le Premier ministre de la Macédoine du Nord, Zoran Zaev (au centre), le président serbe Aleksandar Vucic (à gauche) et Edi Rama, le Premier ministre de l'Albanie au forum économique régional de Skopje, en Macédoine, ce vendredi. (Robert Atanasovski /AFP)
publié le 31 juillet 2021 à 8h00

Comme un échauffement avant d’accéder à l’Union européenne. L’Albanie, la Macédoine du Nord et la Serbie ont signé jeudi trois accords formalisant la mise en place d’un mini-espace Schengen. Baptisé «Open Balkan», le projet se décline en trois volets. D’une part, il doit simplifier la circulation des biens et des personnes. Il met aussi en place une quasi-unification des marchés du travail, avec une facilitation de la délivrance de permis de travail et la reconnaissance mutuelle des diplômes. Les trois pays, enfin, ont signé un traité de prévention et coordination face aux catastrophes naturelles.

Lancé en 2019, le projet d’un «mini Schengen» a longtemps patiné. Il a fallu huit sommets intergouvernementaux pour finalement arriver à ce triple accord. Les trois dirigeants ont annoncé jeudi qu’Open Balkan serait mis en place d’ici 2023. A cette date, «il n’y aura plus aucune attente lors des passages à la frontière», a promis Edi Rama, le Premier ministre albanais.

Cette initiative permet à ces pays de reprendre la main sur un projet d’intégration. Ils peuvent annoncer des dates et se projeter dans un calendrier. Bien loin de ce qui se passe avec l’Union européenne (UE), qui peine à leur annoncer des perspectives crédibles de rapprochement, avec le sentiment pour les pays des Balkans d’être coincés dans une salle d’attente dont les portes ne s’ouvriront jamais vers la pièce suivante.

Longue attente européenne

La Serbie, qui a lancé son processus d’adhésion en 2014, est ainsi loin de rejoindre le bloc. Quant à la Macédoine du Nord et l’Albanie, leur destin est d’autant plus cruel. Même s’ils ont rempli la liste interminable de critères préliminaires requis par l’UE, leurs processus d’adhésion – que les institutions européennes ont corrélés – n’ont toujours pas débuté. En cause : le véto de la Bulgarie, qui a invoqué de vieilles querelles historiques et nationalistes avec la Macédoine pour refuser qu’elle fasse un pas de plus vers Bruxelles.

Les trois dirigeants invitent les autres pays des Balkans occidentaux à rejoindre leur zone de libre-échange. Mais pour l’instant, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et le Kosovo ont refusé. Ce dernier devait initialement en faire partie. Mais l’alternance politique en a décidé autrement. Le Premier ministre de gauche souverainiste, Albin Kurti, a rejeté ce projet, justifiant qu’il préférait s’investir dans le Processus de Berlin, initié en 2014 par Angela Merkel pour offrir une alternative au blocage de l’élargissement et renforcer la coopération régionale, notamment par la mise en place d’un marché commun aux six pays des Balkans occidentaux.

«Comme la Serbie ne reconnaît pas le Kosovo, le pays ne serait probablement pas considéré exactement comme les autres s’il participait à ce mini-Schengen. Par exemple, il y aurait un astérisque après son nom et il y aurait des réserves sur la souveraineté kosovare, ce que ne peut pas accepter Albin Kurti», décrypte Aleksandar Pavlovic, chercheur à l’université de Belgrade. Il faut dire que les relations entre le Premier ministre kosovar et le président nationaliste de Serbie, Aleksandar Vucic, sont notoirement mauvaises.

«Gagner des points à l’international»

A l’inverse, le président serbe a développé une amitié croissante avec Edi Rama, le Premier ministre albanais. Les deux hommes ont su dépasser leurs clivages ethniques pour se rendre compte qu’ils avaient beaucoup de points communs dans leur exercice du pouvoir, entre pressions sur les médias, musellement de l’opposition et culte de la personnalité.

Pour les deux hommes, «ce mini-Schengen est un bon moyen de gagner des points à l’international, en montrant leur capacité à œuvrer pour la stabilité des Balkans», analyse Aleksandar Pavlovic. La «stabilité» étant le leitmotiv européen quand il s’agit de cette région, oubliant parfois la nécessité de bousculer les usages locaux pour obtenir les progrès qu’elle réclame. La porte-parole de la Commission, Ana Pisonero, a d’ailleurs exprimé le soutien européen à cette coopération régionale.

Zoran Zaev, le président du gouvernement nord macédonien, voit aussi dans ce projet une très bonne opportunité de faciliter les échanges entre les peuples et notamment les minorités de chaque côté de sa frontière avec l’Albanie. Car une très importante diaspora albanaise réside en Macédoine du Nord, dont elle représente environ un quart de la population, ce qui cause parfois des tensions interethniques. «On peut faire un parallèle avec les deux Irlande. Quand on fait disparaître une frontière, la plupart des tensions s’apaisent», estime le chercheur de l’université de Belgrade.

Et de rappeler que dans cette petite région des Balkans occidentaux morcelée en six Etats, on tombe vite sur une frontière. Il note : «Dans l’Union européenne on prend pour acquis la facilité de circuler entre les pays, mais ici, ça reste souvent très compliqué, avec des heures de queue aux postes-frontières pour les camions et les personnes.»