Menu
Libération
Répression

Bélarus : dix-huit ans de prison pour le mari de Tikhanovskaïa

Opposant au régime de Loukachenko, Youtubeur et époux de Svetlana Tikhanovskaïa, Sergueï Tikhanovski vient d’être condamné à la prison au terme d’un procès inique.
Sergueï Tikhanovski en mai 2020 à Minsk. (Natalia Fedosenko/Tass via Getty Images)
publié le 14 décembre 2021 à 15h35
(mis à jour le 14 décembre 2021 à 18h09)

La sentence est tombée. Sergueï Tikhanovski a été condamné à dix-huit ans de prison. Il en risquait en théorie quinze. Epoux de la figure d’opposition Svetlana Tikhanovskaïa, qui avait défié Alexandre Loukachenko aux élections présidentielles d’août 2020 et déclenché un vaste mouvement de contestation, youtubeur en vue et critique acide du pouvoir en place, Sergueï Tikhanovski, 43 ans, était jugé à huis clos depuis le mois de juin. Sa femme, contrainte à l’exil depuis l’été 2020, a immédiatement dénoncé cette condamnation, qualifiée de «vengeance» politique du «dictateur» Loukachenko.

«Je me bats pour me débarrasser du cafard»

Incarcéré dans une toute petite cellule de la prison de Gomel, dans le sud-est du Bélarus, Tikhanovski était notamment accusé d’avoir organisé et participé à des «émeutes massives» et d’avoir «manipulé la conscience publique» sur les réseaux sociaux. Ses appels et ceux de ses associés auraient conduit à des «violations flagrantes de l’ordre public», selon les autorités bélarusses.

Dans l’une de ses vidéos, Sergueï Tikhanovski déclarait : «Je suis juste un blogueur, je critique ce qui ne va pas et je me bats pour me débarrasser du cafard», en référence à l’inamovible président biélorusse. Déjà emprisonné à plusieurs reprises, il est de nouveau arrêté en mai 2020, alors qu’il projette de se présenter à la présidentielle du mois d’août. Dépourvue d’expérience politique, sa femme Svetlana accepte «par amour» de le remplacer au pied levé, déclenchant à la surprise générale un vaste mouvement de contestation, brutalement réprimé par le régime Loukachenko.

Depuis le début du procès, aucun élément n’avait filtré, les avocats de la défense étant réduits au silence, sous peine de perdre leur droit d’exercer. Même les réquisitions du parquet n’avaient pas été divulguées. «J’estime que ces accusations sont imaginaires et motivées politiquement», écrivait fin mai l’accusé dans une lettre publiée par le média allemand Deutsche Welle.

Critique du pouvoir sur YouTube

L’engagement politique de Tikhanovski est né de son expérience d’entrepreneur. Il y a une quinzaine d’années, il souhaitait transformer en hôtel un ancien corps de ferme, mais se heurtait à une impasse bureaucratique dès qu’il demandait la moindre autorisation. Il a partagé sa colère sur les réseaux sociaux, dénoncé un système kafkaïen et diffusé plusieurs vidéos sur l’entreprenariat au Bélarus, avant de s’intéresser à des sujets politiques.

En 2010, il réalise un film sur les manifestations qui essaiment à Minsk. Il dirige aussi une société de production implantée à Moscou, la Boussole, qui produit des spots publicitaires pour de grands groupes russes et occidentaux. Le 11 mars 2019, Tikhanovski crée sa chaîne YouTube, baptisée «Un pays pour vivre», et commence à interroger ses concitoyens dans la rue, qui dénoncent tous une presse officielle mensongère, entre autres dysfonctionnements du pays. La plupart de ses directs s’achèvent par des rassemblements politiques non autorisés.

Sergueï Tikhanovski n’était pas le seul à être jugé lors de ce procès inique. A ses côtés, cinq coaccusés : Mikola Statkiévitch, 65 ans, également ancien candidat à la présidentielle de 2010 et ayant déjà passé plusieurs années en prison ; Vladimir Tsyganovitch, youtubeur critique du pouvoir ; Igor Lossik, journaliste d’opposition de 29 ans ; et deux membres de l’équipe de Tikhanovski, Artiom Sakov et Dimitri Popov. Ils ont écopé de peines allant de 14 à 16 ans d’emprisonnement.

«Une nouvelle étape de la répression contre le peuple bélarusse a commencé», a déclaré mardi à Libération l’opposant Pavel Latouchka, en visite à Paris. «Ils traquent tous ceux qui ont critiqué Loukachenko sur les réseaux sociaux, tous ceux qui ont signé des pétitions pour soutenir Viktor Babaryka ou d’autres candidats de l’opposition. La situation est dramatique», ajoute-t-il, estimant à plusieurs centaines de milliers de personnes les futures victimes potentielles de cette répression.

Les peines prononcées mardi ont suscité de nombreuses réactions au sein de la communauté internationale. L’Union européenne a dénoncé dans un communiqué des «accusations infondées contre des citoyens bélarusses qui ont exercé leur droit d’expression et réclamé des élections libres et équitables». L’Allemagne a dénoncé des verdicts «scandaleux» alors que le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a exigé la fin de la «dure répression» visant les opposants au Bélarus.

Selon l’organisation de défense des droits de l’homme biélorusse Viasna, au moins 912 prisonniers politiques sont actuellement détenus dans le pays.

Mise à jour : actualisé avec les réactions de l’opposant Pavel Latouckha et de plusieurs capitales occidentales.