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Répression

Bélarus : l’inquiétude grandit pour la prisonnière politique Maria Kalesnikava, figure de l’opposition à Loukachenko

Alors que 30 prisonniers politiques ont été graciés ce mercredi 4 septembre, les principaux représentants de l’opposition condamnés à de lourdes peines sont maintenus à l’isolement. Le cas de Maria Kalesnikava, qui ne pèserait plus que 45 kg, inquiète particulièrement.
Maria Kalesnikava, membre du trio féminin qui avait porté la candidature de l’opposition à l’été 2020, est maintenue à l’isolement depuis plus de 550 jours. (Artur Widak/NurPhoto via AFP)
publié le 4 septembre 2024 à 20h10

D’eux, on ne sait presque rien. Tout juste qu’ils sont 30, 23 hommes et 7 femmes, et qu’ils devraient très prochainement être libérés des prisons bélarusses où ils étaient enfermés pour s’être élevés contre le régime autocratique d’Alexandre Loukachenko. D’après la présidence bélarusse, qui les a graciés ce mercredi 4 septembre, «la plupart sont des parents de mineurs et de jeunes enfants». Une description qui pourrait correspondre à beaucoup des plus de 1 300 prisonniers politiques toujours derrière les barreaux.

Depuis la tentative de révolution de 2020, la répression n’a jamais molli au Bélarus. Elle a même empiré. Chaque mois, des dizaines de nouveaux prisonniers politiques sont recensés. En août, 53 ont été libérés et 52 ont été écroués. Certains ont été condamnés au titre de l’article 368 du code pénal, qui vise les insultes contre Alexandre Loukachenko, d’autres sont accusés d’avoir financé les volontaires bélarusses qui combattent aux côtés de l’armée ukrainienne. D’autres encore ont vu leur peine prolongée, comme Yauhen Kladаu, 41 ans, qui aurait dû être libéré après avoir purgé un an pour avoir «insulté» Loukachenko. L’homme, placé sur la liste des «terroristes», est désormais accusé d’avoir «organisé des émeutes de masse», ce qui pourrait lui valoir quinze ans de prison.

Toutes les figures de l’opposition qui ne sont pas en exil sont derrière les barreaux. La plupart sont emprisonnées dans des conditions très préoccupantes. Viktor Babariko et Sergueï Tikhanovski, condamnés respectivement à quatorze et dix-huit ans de prison pour avoir osé se présenter à la présidentielle, sont maintenus à l’isolement depuis au moins un an et demi. Leurs proches n’ont eu aucun contact avec eux depuis avril 2023 pour le premier, mars 2023 pour le second.

Lettres déchirées

Depuis quelques semaines, l’inquiétude monte surtout sur le sort de Maria Kalesnikava, emprisonnée pour onze ans. Membre du trio féminin qui avait porté la candidature de l’opposition à l’été 2020, l’ancienne flûtiste est elle aussi maintenue à l’isolement depuis plus de 550 jours. Dans le système carcéral bélarusse, cela ne signifie pas seulement être enfermée dans une étroite cellule solitaire. Elle est aussi privée de matelas, de couvertures, d’oreillers ou de vêtements chauds.

Selon une ancienne détenue libérée récemment de la colonie pénitentiaire numéro 4 de Gomel, l’une des deux seules prisons pour femmes du pays, Maria Kalesnikava, 42 ans, subit un traitement particulièrement inhumain. Les gardiens déchireraient devant elle les lettres envoyées par sa famille et les autres prisonnières n’auraient pas le droit de lui adresser la parole. «Quand ils emmènent Maria Kalesnikava quelque part, toute la prison est bouclée, comme en pleine loi martiale», a raconté cette source au média bélarusse indépendant Novy Chas.

«La mise à l’isolement est une forme de torture, utilisée contre les prisonniers politiques mais aussi contre leurs proches. Le but est de les humilier, de les faire se sentir abandonnés pour qu’ils plongent dans l’apathie», estime Franak Viatchorka, le principal conseiller de Svetlana Tikhanovskaïa, la cheffe de file de l’opposition en exil. Selon leurs informations, neufs prisonniers sont maintenus à l’isolement depuis plus d’un an, dont l’ancien journaliste de Radio Free Europe Ihar Losik, qui a tenté de se suicider à deux reprises. «Ces mises à l’isolement sont une revanche personnelle de Loukachenko contre ceux qui ont été les plus actifs. Il voit Maria comme une ennemie personnelle et je ne pense pas qu’il lui pardonnera un jour. Elle est trop populaire. Il veut la punir, il veut lui faire du mal», ajoute Franak Viatchorka.

«Torture par la faim»

Maria Kalesnikava est peut-être la femme à avoir défié le plus ouvertement le régime. En août 2020, alors que le pays oscille entre espoir de révolution et début de répression, elle est la seule du trio d’opposition à ne pas fuir à l’étranger. Cheveux blonds peroxydés coupés court, elle est partout, des manifestations aux piquets de grève. Jusqu’à son arrestation façon cow-boy en septembre 2020, quand des hommes en civil la poussent dans une camionnette et la conduisent avec d’autres opposants à la frontière avec l’Ukraine, leur intimant de quitter le pays. Elle refusera, en déchirant son passeport et en sautant de la voiture qui l’emmenait vers la frontière. Depuis cette date, Maria Kalesnikava dort en prison et les images d’elles sont devenues extrêmement rares.

«On torture ma sœur par la faim, affirme son aînée, Tatsiana Khomich, qui a été en contact avec d’anciennes détenues du camp de Gomel. Elle ne pèse plus que 45 kg pour 1,75 m. Elle est privée de soins médicaux et d’une alimentation adéquate.» En 2022, l’ancienne musicienne avait déjà dû être transportée dans un service de réanimation, victime d’un ulcère non traité. Selon Tatsiana Khomich, sa sœur n’aurait pas été autorisée à recevoir de colis de nourriture depuis un an et demi et ne disposerait que de l’équivalent de 20 euros par mois pour s’acheter de la nourriture et des produits d’hygiène basiques.

«L’isolement a des effets importants sur la santé. Dans une cellule classique, vous trouverez toujours quelque chose à manger, peut-être un thé ou une tranche de lard. Même si vous n’en avez pas, quelqu’un partagera avec vous. Mais en isolement, on ne vous donnera que de l’orge, des patates et du pain de mauvaise qualité. Vous perdrez très vite du poids», explique Siarhei Monich, un ancien détenu qui a passé plus de 150 jours à l’isolement, interrogé par l’ONG de défense des droits Viasna.

«Une question de vie ou de mort»

Les proches de Maria Kalesnikava et les membres de l’opposition en exil ont des raisons objectives d’être inquiets. Au moins cinq prisonniers politiques sont morts en prison au cours des deux dernières années. «Pour Maria, c’est une question de vie ou de mort. Il faut agir maintenant. Elle est forte mais même les personnes les plus fortes du monde ne peuvent pas tenir éternellement dans ces conditions», s’inquiète Franak Viatchorka, qui appelle à un «effort international coordonné» pour mettre la pression sur le régime et obtenir des libérations.

En juillet 2023, Svetlana Tikhanovskaïa, avait reçu un message anonyme l’informant que son mari, Sergueï Tikhanovski, était mort en cellule. Face à l’émoi international et à la campagne menée par Tikhanovskaïa, le régime avait été contraint à une petite concession. Pour la première fois depuis des mois, il avait diffusé des images de l’opposant.