C’était «leur» pape, comme l’avait titré le grand journal populaire Bild («Wir sind Papst») à la une, le 19 avril 2005. Le premier souverain pontife allemand depuis cinq cents ans ! Mais l’euphorie est vite retombée lorsque les Allemands ont découvert que l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi serait plutôt le pape de la restauration. «Ultra-conservateur», «presque fondamentaliste»… La presse allemande a très vite fait comprendre aux catholiques allemands que «leur» pape, surnommé le «Panzerkardinal», ne serait pas celui des réformes libérales auxquelles ils aspiraient.
Certaines organisations de catholiques réformateurs, comme Initiative Kirche von unten, l’avaient bien compris en annonçant une «catastrophe» lors de son élection. Benoît XVI considérait lui-même son propre pays comme l’un des plus difficiles à contrôler sur la planète. Nulle part ailleurs les fidèles ne sont aussi critiquesenvers Rome et le centralisme de l’Eglise.
«Complice des pédophiles»
Les Allemands n’ont pas reproché au pape son passage par les Jeunesses hitlériennes (ce fut le cas de 90 % des garçons de sa génération), mais ils ont été scandalisés, en revanche, par sa décision, en 2009, de réintégrer des négationnistes catholiques au «pays des bourreaux» en parlant d’un «geste de réconciliation»… quelques jours seulement avant la commémoration de la libération d’Auschwitz.
Lors de sa première visite officielle en Allemagne, en 2011, il n’a pas été accueilli en héros comme d’autres papes dans leur pays d’origine, mais par des protestations. Son intervention au Bundestag avait été boycottée par une centaine de députés de gauche (SPD, verts et gauche radicale) qui s’insurgeaient contre ses positions sur l’homosexualité et sur son manque de volonté d’éclaircir les affaires d’abus sexuels.
Le rapport en janvier dernier sur le diocèse de Munich, dont il fut l’archevêque de 1977 à 1982, a fini par ruiner sa crédibilité en Allemagne. Les auteurs, qui le présentent entre les lignes comme un menteur et un complice, évoquent un «système de dissimulation», une «peur de salir l’institution», et un «désintérêt systématique pour les victimes d’abus sexuels». Ils reprochent à Ratzinger d’avoir au moins minimisé ou nié quatre abus sexuels.
«Complice des pédophiles», l’accusait alors frontalement le Tageszeitung, journal de la gauche alternative. «Les 22 millions de catholiques allemands commencent à douter de leur Eglise. Quand on prône la foi, il faut rester crédible», jugeait le journal populaire et conservateur Bild. «C’est non seulement indécent mais aussi inhumain», enfonçait le Süddeutsche Zeitung, quotidien de la gauche libérale.
Chœur des petits chanteurs de Ratisbonne
Son frère, avec qui il entretenait une relation très forte, est mis en cause lui aussi dans un rapport sur le célèbre chœur des petits chanteurs de Ratisbonne, qu’il a dirigé pendant trente ans. Georg Ratzinger avait sciemment «détourné le regard» alors qu’il connaissait les faits qui se déroulaient dans son institution (547 victimes d’abus sexuels ont été recensées).
Avec Benoît XVI, les évêques allemands auraient voulu restaurer la confiance des fidèles dans l’Eglise. C’est le contraire qui s’est produit. Les catholiques (26 % de la population) ont continué à fuir l’institution. Depuis, le rythme des défections ne cesse de s’accélérer (plus de 2,5 millions ont quitté officiellement l’Eglise en dix ans) avec un nouveau record en 2022.