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Libération
Ping-pong

Biden et Poutine : duel à distance

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Trois jours avant le premier anniversaire de la guerre en Ukraine, les présidents russe et américain se sont exprimés mardi. Des discours croisés, entre victimisation à l’est et plaidoyer pour la liberté à l’ouest.
Joe Biden et Vladimir Poutine lors de leurs discours respectifs le 21 février, à Varsovie pour l'un et à Moscou pour l'autre. (Dmitry Astakhov/AP)
publié le 21 février 2023 à 20h46

Rarement le cynisme n’aura semblé si présent, et la vérité si abîmée, que dans les mots, mardi 21 février, de Vladimir Poutine, au 362e jour de sa guerre insensée en Ukraine. «Nous ne combattons pas le peuple ukrainien, otage du régime de Kyiv et de ses maîtres occidentaux», a osé le président russe depuis Moscou, au moment même où les bombes de son armée frappaient aveuglément à Kherson, grande ville du Sud ukrainien, un hôpital, une garderie, un marché et un arrêt de bus, tuant au moins cinq civils.

A sept heures d’intervalle et un millier de kilomètres l’un de l’autre, plus que jamais plongés dans des réalités parallèles, le Russe Poutine et l’Américain Biden ont tour à tour exposé leurs visions irréconciliables de l’Ukraine, du monde, de leurs alliances et leurs ennemis, réels ou supposés. Des discours croisés aux âpres relents de guerre froide, entre victimisation à l’Est et plaidoyer pour la liberté à l’Ouest.

Dans un discours de près de deux heures aux représentants des parlements, et à travers eux à une nation abrutie de propagande, le chef du Kremlin a ainsi dépeint la Russie en citadelle assiégée, confrontée à une menace existentielle incarnée, en premier lieu, par Washington. «Les élites de l’Occident ne cachent pas leur objectif : infliger une défaite stratégique à la Russie, c’est-à-dire en finir avec nous une bonne fois plus toutes», a-t-il martelé.

Dans ce choc des blocs, des idéologies, voire des civilisations que Poutine entend ressusciter, s’inscrit directement la guerre menée chez son voisin. Il n’aura d’ailleurs fallu que quelques minutes au chef du Kremlin pour faire le tour des éléments de langage destinés à justifier la présence de l’armée russe dans le Donbass, depuis 2014 : une Ukraine illégitime, «otage» des Occidentaux. Un soi-disant «génocide du Donbass», que son offensive aurait permis d’éviter «face aux nationalistes ukrainiens».

«Cette guerre est une tragédie»

Dans ce duel à distance, Joe Biden avait l’avantage de s’exprimer en second. Et si son conseiller à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, avait prévenu que le président américain ne ferait pas de son discours une réponse à celui de son homologue, Biden y a malgré tout fait brièvement allusion. «Je m’adresse une fois de plus au peuple de Russie. Les Etats-Unis et les nations européennes ne cherchent pas à contrôler ou détruire la Russie. L’Occident ne complotait pas pour attaquer la Russie, comme Poutine l’a dit aujourd’hui […] Cette guerre n’a jamais été une nécessité. C’est une tragédie», a-t-il martelé.

Devant le château royal de Varsovie, où il avait lâché l’an dernier, hors script, que Poutine ne «devrait pas rester au pouvoir», Joe Biden a cette fois insisté sur la responsabilité entière du maître du Kremlin – «chaque jour de guerre supplémentaire est son choix» – et répété que les «millions de citoyens russes» désireux de «vivre en paix avec leurs voisins» n’incarnaient pas «l’ennemi».

Surtout, le président américain, dont le pays est de loin le premier soutien financier et militaire de l’Ukraine, a tiré les leçons de l’année écoulée, «extraordinaire à tous points de vue» – de la «brutalité» des «crimes contre l’humanité» perpétrés par Moscou, à «l’héroïsme» et au «courage» du peuple ukrainien, en passant par «l’unité» des alliés de l’Ukraine et la «puissance» de leur réponse. Poutine «pensait que les autocrates comme lui étaient durs et que les dirigeants de la démocratie étaient mous, puis il s’est heurté à la volonté de fer de l’Amérique et des nations du monde entier qui refusent d’accepter un monde gouverné par la peur», a martelé Joe Biden.

«L’appétit des autocrates ne peut pas être rassasié»

Si le président américain a dit sa «fierté» de la riposte collective à Moscou, qui a débouché notamment «sur le régime de sanctions le plus large jamais imposé à un pays», Vladimir Poutine a quant à lui décrit une économie de guerre victorieuse, allant même jusqu’à vanter un «moment» plein «d’opportunités». «Nous n’avons vécu une récession que pendant le deuxième trimestre et avons désormais atteint un nouveau cycle de croissance économique», a-t-il affirmé. Estimant que la «campagne militaire, médiatique et économique contre nous» n’avait pas eu d’effet sur son pays, dont il a vanté les liens renforcés avec les pays asiatiques, dans un clin d’œil appuyé à la Chine.

Par ce discours de résilience patriotique, Poutine a exhorté la population à resserrer les rangs derrière lui. Les écoliers «qui envoient des lettres aux combattants» ont ainsi été remerciés, tout comme les Russes «qui fabriquent des camouflages pour nos soldats» et les secouristes engagés dans le Donbass. Puis les enseignants ont été félicités, eux qui sont en première ligne pour diffuser la réécriture de l’histoire du Kremlin aux nouvelles générations.

Quelle sera, justement, la fin de l’histoire ? «C’est nous qui avons raison», a conclu Vladimir Poutine. «L’appétit des autocrates ne peut pas être rassasié, ils doivent être combattus, a rétorqué Joe Biden depuis Varsovie. Un dictateur déterminé à reconstruire un empire ne pourra jamais entamer l’amour du peuple pour la liberté, la brutalité n’écrasera jamais la volonté de ceux qui veulent rester libres. L’Ukraine ne sera jamais une victoire pour la Russie – jamais.»