Avec la fin du corridor sécurisé en mer Noire, la semaine dernière, c’était la route alternative la plus sûre et efficace pour exporter les céréales ukrainiennes. Mais Moscou, qui s’acharne depuis une semaine sur la région d’Odessa, a voulu montrer que la voie fluviale, par le Danube, était elle aussi une cible. Dans la nuit du dimanche 23 au lundi 24 juillet, un drone russe s’est abattu sur le port ukrainien de Reni, à un jet de pierre de la Roumanie, pays membre de l’Otan, et à moins de 5 kilomètres de la frontière moldave.
«La nuit dernière, une attaque de drones Shahed-136 [des drones kamikazes iraniens, ndlr] a visé les infrastructures portuaires du Danube», lit-on dans un message posté ce lundi matin sur la page Facebook officielle du commandement opérationnel «Sud» des forces armées ukrainiennes, qui affirme avoir «détruit trois drones». «Après ces frappes, un hangar à grains a été détruit, des réservoirs pour le stockage ont été endommagés, un incendie s’est déclaré», poursuit le message, qui précise également que «sept employés du port ont été blessés».
La Roumanie condamne les attaques
Sur Twitter lundi matin, le président roumain a «fermement condamné les récentes attaques russes contre les infrastructures civiles ukrainiennes sur le Danube, tout près de la Roumanie». Pour Klaus Iohannis, «cette récente escalade pose de sérieux risques pour la sécurité dans la mer Noire», et «affecte le transit des céréales de l’Union européenne et donc la sécurité alimentaire mondiale».
Des vidéos et des photos postées sur Twitter par des négociants en grains montrent des silos effondrés, et des infrastructures portuaires, dont une citerne d’huile de tournesol, détruites par l’explosion. Pour Andrey Sizov, directeur général de SovEcon, une société spécialisée dans les marchés agricoles de la mer Noire, cette attaque inédite est le signe d’une «rapide escalade». «A notre avis, il s’agit d’un événement plus important que les attaques sur Odessa, auxquelles on pouvait s’attendre», a tweeté Sizov lundi matin, rappelant que le Danube était «actuellement la principale voie d’exportation des céréales ukrainiennes.»
Depuis l’instauration du blocus en mer Noire au printemps 2022, les fermiers ukrainiens se sont rabattus sur les petits ports du Danube pour continuer à exporter leurs marchandises, d’abord par le fleuve puis via les eaux roumaines. Izmaïl, Ust-Dunaisk et Reni, qui a été touché cette nuit, contribuaient à moins de 0,5 % des exportations de céréales ukrainiennes avant l’invasion. De juillet 2022, quand les ports fluviaux se sont mis à travailler à plein régime, à janvier 2023, cette part est montée à plus de 30 %, bien que l’accord conclu avec Russie ait permis en parallèle l’exportation par la mer Noire. Selon Bloomberg, en mai et juin, le volume d’exportation par le Danube (environ 2 millions de tonnes mensuelles) a même dépassé celui des céréales partant via la mer Noire, qui ralentissait sous l’effet du travail de sape des Russes.
Mise sous pression de toutes les voies d’exportation ukrainiennes
Depuis la fin de l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes en mer Noire, le Danube est devenu encore plus crucial. Des dizaines de barges et de cargos sont actuellement en train de remonter ou de descendre le fleuve, et des dizaines d’autres patientent à l’entrée du delta.
Toutes les voies d’exportations ukrainiennes sont sous pression. Bruxelles a suspendu depuis mai 2022 les droits de douane sur les importations agricoles ukrainiennes dans l’Union européenne. Une décision renouvelée depuis, et en vigueur au moins jusqu’au printemps 2024. Accusant l’arrivée massive de denrées ukrainiennes à bas prix de faire baisser le cours des productions locales, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Bulgarie ont bloqué en avril l’entrée sur leur territoire des céréales de leur voisin, géant agricole. Mise sous pression, la Commission européenne a trouvé une solution de compromis : depuis mai, les grains ukrainiens sont uniquement autorisés à transiter via ces pays et ne peuvent y être vendus. Cet accord est censé s’achever le 15 septembre, mais Varsovie et Budapest ont déjà prévenu qu’ils bloqueraient à nouveau unilatéralement les produits agricoles ukrainiens si les restrictions n’étaient pas prolongées.