«Шампанское», champanskoïé : champagne. Mais pas n’importe lequel ! Depuis la semaine dernière, seulement le champagne produit en Russie. Oui, ça existe, et c’est même un grand classique des tables du pays. On l’appelle «rossiiskoïé champanskoïé», «champagne russe», ou plus couramment «sovietskoïé champanskoïé», «champagne soviétique», car c’est après la révolution d’Octobre que sa production décolle en Russie. Dès la levée de la prohibition en 1924, les nouveaux maîtres du Kremlin comprennent l’importance symbolique de proposer aux masses laborieuses un champagne, la boisson bourgeoise par excellence, à un prix accessible.
En se basant sur des domaines existants dans les régions viticoles du sud du pays et en leur appliquant des méthodes industrielles développées en quelques années, l’URSS peut, en 1936, ouvrir ses premières usines de «sovietskoïé champanskoïé». Notez que le champagne n’est pas le seul alcool français à se faire ainsi exporter : autour de la chaîne du Caucase, des régions comme le Daghestan ou l’Arménie se lancent par exemple dans la production de «konyak».
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Ces marques n’ont pas posé problème tant qu’elles existaient de l’autre côté du rideau de fer. Mais après la chute de l’URSS et l’ouverture du marché, particulièrement depuis l’adhésion de la Russie à l’OMC en 2012, les producteurs français s’attachent à récupérer leurs appellations. Mais la tâche s’avère compliquée. En plusieurs décennies d’existence, le «champanskoïé» s’est taillé son propre nom et sa propre image de marque, bien distincte de celle du champagne français.
Moët Hennessy s’indigne
Négocier l’épineuse question des appellations est l’une des missions de la représentation commerciale de l’ambassade de France en Russie. Des compromis sont trouvés, souvent particulièrement byzantins : des délais de transition courant jusqu’en 2016 puis prolongés jusqu’en 2022 ; des accords selon lesquels les producteurs russes conservent le droit d’utiliser la marque «champanskoïé», mais uniquement en lettres cyrilliques pour réserver le terme «champagne» en caractères latins aux viticulteurs français…
Vous suivez toujours ? Cela se complique. Vendredi, Vladimir Poutine signe une loi introduisant en Russie de nouvelles appellations protégées. Parmi elles… «champanskoïé», qui sera désormais exclusif aux vins produits en Russie. Cela signifie-t-il que les champagnes français devront renoncer à leur nom et se déclarer «vins blancs pétillants» comme du vulgaire mousseux ? Moët-Hennessy s’indigne et annonce aussitôt dans un communiqué interrompre ses exportations vers le pays. «Bon débarras» répond en substance l’association des viticulteurs russes. Deux jours plus tard, l’alcoolier français fait machine arrière et annonce la reprise incessante des exportations.
Sans doute, dans l’intervalle, a-t-il consulté ses juristes et constaté que la loi n’interdit pas à ses producteurs d’arborer le terme «champagne» (en alphabet latin) sur leurs étiquettes. Il ne s’agit, en fin de compte, que d’un banal changement de code douanier et de la formalisation d’un fait accompli : il existe désormais deux appellations différentes correspondant à deux boissons différentes, sœurs jumelles à l’origine devenues cousines éloignées. Après tout, qu’importe le flacon…
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