L’Espagne ne manque aucune occasion pour rappeler qu’elle ne reconnaît pas le Kosovo. Le 9 mars, l’équipe masculine de football espagnole annonce dans un communiqué officiel la liste des joueurs convoqués lors des matchs contre la Grèce, la Géorgie et le «territoire du Kosovo». Une formule peu subtile pour rappeler que Madrid n’a jamais accepté l’indépendance de l’ancienne province serbe à majorité albanaise, déclarée unilatéralement en 2008. Le quotidien sportif Marca précise dans la foulée que ni le drapeau ni l’hymne du pays balkanique ne pourront être présentés comme tels lors du match de qualification pour le Mondial 2022, qui se tiendra le 31 mars à Séville. Enfin la télévision publique espagnole, qui possède les droits de diffusion, ne devra pas mentionner le Kosovo comme un Etat souverain et devra qualifier son hymne de «musique cédée par le territoire».
La déclaration a déclenché la fureur de la fédération de football kosovare, qui refuse de jouer dans ces conditions. Dans un communiqué, elle rappelle que l’annonce espagnole est contraire aux règles posées par l’Union des associations européennes de football (UEFA) et de la Fédération internationale de football association (FIFA). Le Kosovo est membre de plein droit des deux instances depuis 2016. «Plus précisément, la fédération de football du Kosovo est membre de la FIFA, donc les règles sont claires : l’Espagne n’a pas le droit de ne pas reconnaître l’hymne et le drapeau du pays lors du match, développe Loïc Trégourès, auteur du livre Le football dans le chaos yougoslave et enseignant en sciences politiques à l’université catholique de Paris. Lors de chaque match, il y a un délégué de la FIFA qui vérifie que le protocole officiel est respecté.»
Catalogne et Kosovo
Le lendemain, après une discussion entre les instances des deux pays, la fédération espagnole a rétropédalé, assurant qu’elle respectera les règles des instances de football internationales. Le 15 mars, lors de l’annonce finale des 24 joueurs espagnols retenus, la fédération s’est contentée de mentionner «les trois prochaines rencontres internationales», une façon d’éviter de mentionner le Kosovo. Selon Marca, la position de l’instance de football espagnole a été dictée par le ministère des Affaires étrangères, qui lui a communiqué les instructions à suivre en vue de la rencontre.
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Environ la moitié des pays dans le monde ont reconnu le Kosovo (dont les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni), contre l’autre moitié qui juge illégale sa déclaration d’indépendance, à l’instar de la Serbie, qui continue de le revendiquer comme l’une de ses régions. Dans l’Union européenne, cinq pays refusent de le reconnaître : la Roumanie, la Grèce, la Slovaquie, Chypre et donc l’Espagne. «C’est le pays qui a toujours été le plus actif dans son opposition. Ces déclarations ont permis de renforcer une fois de plus sa posture historique de rejet», estime le politologue Alejandro Esteso Pérez, spécialiste des Balkans occidentaux. Depuis 2008, les autorités espagnoles se sont toujours présentées comme les défenseuses du droit international et ont refusé de reconnaître le Kosovo au motif que sa déclaration unilatérale d’indépendance ne le respectait pas.
Les gouvernements espagnols successifs n’ont pas pas été jusqu’à établir publiquement un parallèle entre les courants sécessionnistes de Catalogne et ceux du Kosovo. Mais si Madrid ne souhaite pas de rapprochement avec la petite république balkanique, c’est aussi en partie «par peur que le public et certains partis politiques puissent l’utiliser comme une excuse pour légitimer les mouvements indépendantistes en Espagne», analyse Alejandro Esteso Pérez.
Rencontres géopolitiques
Des interrogations demeurent sur les consignes passées au diffuseur espagnol lors du match, le 31 mars. Loïc Trégourès rappelle que dans les années 1980, lors de la guerre des Malouines, la télévision argentine ne mentionnait pas le mot «Angleterre» lors des rencontres internationales. «Il peut y avoir des recommandations officieuses sur des aspects qui ne relèvent pas des compétences de la FIFA», relève-t-il.
Les terrains de football balkaniques sont régulièrement le lieu de manifestations nationalistes ou identitaires. En 2014, un drapeau de la Grande Albanie, projet qui rassemble le Kosovo et l’Albanie au sein d’une même nation, avait été tiré par un drone lors d’une rencontre à Belgrade. S’en était suivie une bagarre générale entre les joueurs serbes et albanais. En 2019, la police kosovare avait saisi le drone de supporters tchèques qui prévoyaient d’y attacher un drapeau nationaliste serbe lors d’un match entre le Kosovo et la République tchèque à Pristina. Pour Loïc Trégourès, ces tensions ne sont pas propres au football. «Mais c’est un sport qui offre une exposition particulière car il draine plus de gens. Alors, oui, la probabilité de faire un coup d’éclat est sans doute un peu plus importante», reconnaît le politologue.