On a longtemps hésité avant de se décider à recevoir la dose de Spoutnik V. Entre une annonce prématurée de son homologation, des essais cliniques interrompus avant la fin, des injections faites aux fonctionnaires et médecins «sur la base du volontariat obligatoire», le vaccin russe a mauvaise presse. Mais à force de lire – et d’écrire – que celui-ci est, de l’avis général de la communauté scientifique, sûr et efficace, on s’est décidé.
«Aucune question posée»
En théorie, en Russie, la vaccination est restreinte à certaines classes d’âge et de profession. En pratique, il y a si peu de volontaires que personne ne vérifie et n’importe qui peut se faire vacciner. Pour les étrangers, c’est un peu plus compliqué. Sans enregistrement auprès de l’assurance maladie russe, pas de vaccin. A moins, nous glisse-t-on, que vous soyez détenteur d’un titre de séjour au lieu d’un simple visa ? Ou peut-être d’un permis de séjour temporaire ? Sur la boucle Telegram où les Français de Russie s’échangent leurs tuyaux, chacun a son interprétation des règlements et sa propre histoire : «Vacciné ce matin à l’hôpital numéro tant, ils acceptent les étrangers avec permis de séjour.» «Ils m’ont recalé cet après-midi. Mais essayez plutôt le centre commercial Vegas.» «C’est fait, en payant dans une clinique privée. Aucune question posée.»
Car il existe trois filières pour se faire vacciner : les hôpitaux publics, certaines cliniques privées et les centres de vaccination ouverts par la mairie de Moscou dans les centres commerciaux de la capitale. Dont le Goum, la légendaire galerie commerciale Art nouveau, située juste en face du Kremlin, sur la place Rouge. C’est sur ce dernier que l’on s’est rabattu, convaincu par les témoignages selon lesquels, non seulement les infirmiers y effectuent l’injection quel que soit votre passeport, mais qu’en plus on vous offre une glace au lait une fois l’épreuve passée.
Entre les gouttes de la bureaucratie
Avec ses magasins et ses cafés ouverts où se pressent les Moscovites à peine masqués, le Goum est à l’image du reste de la Russie : on vit comme si le Covid-19 avait été annulé par un accord collectif tacite. Quelques affichettes pointent vers le centre de vaccination, au dernier étage, sous les immenses verrières encore encombrées de plaques de neige. Pas de file d’attente ni d’inscription préalable : sur place, un préposé souriant remet un formulaire à remplir. Avez-vous du diabète, des maladies de cœur, du foie, des poumons, êtes-vous enceinte ? On coche rapidement non à toutes les cases avant de passer à l’injection. On reçoit son vaccin, on mange sa glace (délicieuse), et puis on rentre chez soi, en attendant la date de la deuxième injection, trois semaines plus tard, au même endroit.
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Entretemps, nous expliquera l’infirmière, les règles ont changé : le Goum n’accepte plus les patients étrangers. Mais comme il s’agit d’une seconde injection, elle veut bien faire une exception. Formulaire, piqûre, glace au lait. Avec l’impression d’être passé entre les gouttes de la bureaucratie, on reçoit un certificat de vaccination et une brochure détaillant les effets secondaires possibles. Dans les trois jours suivant chaque injection : 10% des patients éprouvent des nausées et de la fatigue, 5% des migraines, de la fièvre jusqu’à 39°C et des douleurs musculaires, 4% des douleurs à l’endroit de l’injection et 1% ont le nez bouché.
En collectionneur acharné, on les a, à chaque fois, absolument tous eus. Puis, après environ trente-six heures particulièrement pénibles, les symptômes ont disparu sans laisser de traces. L’immunité, elle, est là pour durer.