Menu
Libération
Justice

Crash du vol MH17 au-dessus de l’Ukraine : trois suspects condamnés, un acquitté

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Deux Russes et un Ukrainien ont été condamnés pour meurtre lors du procès sur le crash du vol de Malaysia Airlines au-dessus de l’Ukraine en 2014. Un troisième ressortissant russe a été acquitté.
Débris du MH17 près du village de Grabove, dans l'est de l'Ukraine, en 2014. (MENAHEM KAHANA/AFP)
par Margaux Solinas, Envoyée spéciale à Badoevedorp (Pays-Bas)
publié le 17 novembre 2022 à 15h35
(mis à jour le 17 novembre 2022 à 18h12)

Ce jeudi, devant la porte d’une petite salle du Palais de justice de Schiphol, l’aéroport d’Amsterdam aux Pays-Bas, une foule s’agglutine. La tension se lit sur les visages. La séance de ce jour clôt le procès, débuté le 9 mars 2020, du crash du vol MH17. Une quarantaine de proches des victimes sont venus pour cette dernière session qui met fin à de longues années d’attente. Et l’audience a fait salle comble pour l’annonce du verdict. Huit ans après la tragédie, un tribunal néerlandais a condamné trois hommes et acquitté un autre pour la destruction du vol MH17 de Malaysia Airlines au-dessus de l’Ukraine en 2014, tuant les 298 passagers et membres de l’équipage. Les Russes Igor Guirkine et Sergueï Doubinski et l’Ukrainien Leonid Khartchenko ont été «reconnus coupable» de meurtres et d’avoir joué un rôle dans la destruction d’un avion, le Russe Oleg Poulatov a été acquitté.

«Nous voulons les coupables»

Personne dans l’auditoire ne peut oublier les événements du 17 juillet 2014. A 13 h 19 ce jour-là, un Boeing 777 explose au-dessus de Donetsk, en Ukraine, abattu par un missile Buk, appartenant à la 53e brigade anti-aérienne de Russie. Il avait décollé quelques heures plus tôt d’Amsterdam à destination de Kuala Lumpur. Le MH17 avait à son bord 298 personnes (283 passagers, 15 membres d’équipage) dont 196 Néerlandais. A bord se trouvaient aussi 43 Malaisiens et 38 Australiens. De nombreux voyageurs partaient en vacances. Il n’y a eu aucun survivant. Depuis, la colère et la soif de justice hantent les familles des défunts.

«Mon neveu est revenu en morceaux et ils n’ont jamais retrouvé le corps de mon frère. Nous sommes des victimes collatérales de cette guerre à laquelle nous n’avons pas voulu prendre part. Nous voulons les coupables !» explose Piet Ploeg, juste avant l’annonce du verdict. Président de l’association Stichting Vliegramp MH17 (l’association pour les familles des victimes), il n’a pas manqué un jour du procès depuis deux ans et demi. Son frère aîné, sa belle-soeur et leur fils se trouvaient dans le MH17. Piet a les yeux rivés sur le juge président Hendrik Steenhuis, et les quatre autres juges du tribunal. Tout du long de l’énoncé des attendus du procès, il boit les paroles du président et prend note, attentivement. Ce jeudi est sa journée, celle de toutes les autres familles brisées par la disparition de leurs proches, et il ne veut pas en rater une miette.

Les juges ont estimé qu’Igor Guirkine, Sergueï Doubinski et Leonid Khartchenko pouvaient tous être tenus pour responsables du transport du missile Buk depuis une base militaire en Russie et de son déploiement sur le site de lancement, même s’ils n’ont pas appuyé eux-mêmes sur la gâchette. En revanche, il n’y avait pas suffisamment de preuves pour montrer que Oleg Poulatov, le seul suspect à avoir été représenté par un avocat pendant le procès, était impliqué. «Le tribunal est d’avis que le crash du vol MH17 a été provoqué par le tir d’un missile Buk depuis un champ agricole près de Pervomaïski [dans l’est de l’Ukraine], tuant tous les passagers», a déclaré le juge président Hendrik Steenhuis. «Il existe une abondance de preuves à l’appui de cette conclusion», telle qu’un «fragment en forme de papillon du missile trouvé dans le corps d’un membre d’équipage» dans le cockpit, a-t-il expliqué. La décision du tribunal peut encore faire l’objet d’un appel.

Les juges ont également conclu que la République populaire de Donetsk était «sous le contrôle de la Fédération de Russie» au moment de la destruction du MH17. Ceci signifie que les accusés n’ont pas le droit de revendiquer l’immunité en tant que combattants dans un conflit international, car la Russie «nie encore à ce jour» avoir contrôlé la région à l’époque. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a salué une «décision importante». «La punition pour toutes les atrocités russes – à la fois d’hier et d’aujourd’hui – sera inévitable», a-t-il ajouté.

«C’est une victoire»

Si Piet Ploeg est bien présent à chaque séance, le banc des accusés, lui, est demeuré désespérément vide depuis le début du procès. Les quatre accusés ont refusé de se présenter devant la justice. Leurs noms avaient été mentionnés pour la première fois dans une enquête publiée par le média Bellingcat : Igor Guirkine (également connu sous le nom de Strelkov), un ancien colonel des services secrets russes (FSB), son adjoint Sergueï Doubinski (connu sous le pseudonyme de Khmury), un agent de l’intelligence militaire russe (GRU), Oleg Poulatov, un agent des forces spéciales du GRU, et Leonid Khartchenko, seul Ukrainien de la liste, sans profil militaire mais qui aurait mené une unité de combat dans l’Est de l’Ukraine.

Il y a quelques mois, Ria van der Steer, 54 ans, confiait que la «demande d’emprisonnement à vie a résonné comme une douce musique dans mes oreilles lorsqu’elle a été énoncée en décembre 2021» par le parquet. En 2014, elle a perdu son père et sa belle-mère dans l’attentat. Ce jeudi, les yeux bleus de la quinquagénaire scintillent d’émotion lorsqu’elle entend le juge prononcer ces simples mots : «Igor Guirkine, Sergueï Doubinski et Leonid Khartchenko sont reconnus coupables et condamnés à la réclusion à perpétuité.» A la sortie du palais de justice, elle rayonne. Pour elle, huit ans après le drame, «c’est une victoire». Les caméras braquées sur elle, la Néerlandaise affirme doucement qu’elle va pouvoir enfin «rentrer boire son thé, écrire sur son blog et dormir».

Toutes les familles des victimes ne sont pas aussi soulagées. Tracey Withers, la sœur jumelle de l’ancien journaliste de la BBC Glenn Thomas, une autre victime du MH17, ne sourit pas à l’extérieur du bâtiment gris. La Russie refusait déjà d’extrader les présumés coupables avant le verdict. Igor Guirkine, très actif sur le réseau Telegram, n’a jamais mentionné le procès et les autres sont restés silencieux. «Ce n’est pas un jour de fête», soupire Tracey, les yeux à demi clos. «Nous n’aurons jamais la réponse à la question : pourquoi ? livre-t-elle, car les coupables ne se rendront jamais.»