Le «Pacte sur la migration et l’asile», définitivement adopté, après presque quatre ans de difficiles négociations, par le Parlement européen le 10 avril, veut envoyer un message clair aux opinions publiques, à la veille d’élections européennes qui s’annoncent triomphales pour les populistes et l’extrême droite : les migrants et les demandeurs d’asile sont moins que jamais les bienvenus dans l’Union. Tout sera mis en œuvre pour les contenir aux frontières extérieures, y compris en construisant des murs ou en les stoppant dans les pays riverains comme la Turquie, l’Egypte, la Libye ou la Tunisie.
Les années 80, où les Etats européens juraient leurs grands dieux qu’ils n’étaient pas question de créer une «Europe forteresse», sont définitivement derrière nous. La difficile intégration des migrants du continent africain, la montée en puissance d’un islamisme radical sans même parler des attentats terroristes de la dernière décennie ont donné des ailes aux extrêmes droites européennes qui s’érigent en défenseuses des valeurs occidentales et veulent en terminer avec une prétendue «invasion migratoire» qui menacerait le Vieux Continent.
Victoire idéologique de Viktor Orbán
C’est pour répondre aux angoisses identitaires des citoyens que le conservateur grec Margarítis Schinás, vice-président de la Commission en charge «des migrations et de la promotion du mode de vie européen» – tout un programme en soi –, a proposé son «pacte» en septembre 2020. Et c’est aussi pour cette raison que les Vingt-Sept, la France au premier chef, ont poussé les feux pour qu’il soit adopté avant les européennes qui se tiendront du 6 au 9 juin. C’est peut-être parce qu’il a senti le danger de cette manifestation d’unité et de fermeté que le Rassemblement national (RN), qui caracole en tête des sondages en France, a voté contre l’ensemble des textes constituant ce pacte, ce qui n’a aucun sens politique vu son contenu.
D’ailleurs, même Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a voté en sa faveur, celui-ci ayant admis depuis son accession au pouvoir qu’on ne lutte pas seul contre l’immigration illégale. Et le vote négatif d’une partie de la gauche (notamment française), de la gauche radicale et des écologistes montre, s’il fallait s’en persuader, que ce pacte ne constitue pas précisément un signal d’ouverture. Mais, électoralement pour le RN, quoi de mieux qu’une Europe divisée et paralysée qui lui aurait fourni un bel argument de campagne ? Et il sait que l’opinion publique française ne s’intéresse pas à ses contradictions, en l’occurrence le rejet d’un texte qui répond dans une large mesure à ses recommandations…
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Ce tour de vis européen, qui signe au passage la victoire idéologique de Viktor Orbán, le chef de gouvernement hongrois, qui avait essayé de stopper, en 2015, l’afflux de réfugiés et de migrants en employant la force, ne s’arrêtera sans doute pas là. Un bon indicateur de ce raidissement est fourni par le programme du Parti populaire européen (PPE, conservateur), le groupe politique le plus puissant du Parlement, qui soutient le renouvellement d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission. Il recommande désormais la «solution Rwanda» qui consiste à envoyer dans des pays tiers les demandeurs d’asile qui sont parvenus jusqu’à l’Union pour que leur demande y soit examinée. Jusque-là, l’exécutif européen s’était opposé à cette politique qui signerait la fin du droit d’asile.
Pour la première fois majoritaire
Ce véritable «je vous ai compris !» européen adressé aux électeurs tentés par l’extrême droite se décline dans tous les domaines. Ainsi, prenant conscience que le Pacte vert («Green Deal») présenté en 2019 qui s’est traduit par une avalanche de textes visant à engager la transition vers une économie décarbonée, suscitait un rejet grandissant dans les opinions à cause de son coût élevé (voiture électrique, isolation thermique, etc.) à l’heure du retour de l’inflation et de l’envolée des prix de l’énergie, plusieurs Etats, dont la France, ont demandé, en 2023, une pause soutenue par la droite et le centre. Le PPE s’érige même désormais en adversaire résolu du pacte vert.
Le but affiché par l’Union est donc d’enlever des arguments à l’extrême droite. Pour l’instant, en vain, si l’on en croit les sondages, les électeurs préférant manifestement l’orignal à la copie. Elle est ainsi toujours donnée en tête dans neuf pays, et pas des moindres : Autriche, France, Italie, Pologne, Pays-Bas, Belgique, Hongrie, République tchéque et Slovaquie. Ce qui se traduira par une nette percée d’Identité et démocratie (ID), le groupe du Rassemblement national et de l’AfD allemande, ainsi que des conservateurs eurosceptiques de l’ECR (Fratelli d’Italia, PiS polonais…) qui pourraient reléguer Renew (le groupe fondé par Renaissance) de la troisième à la cinquième place des groupes politiques… Pour la première fois dans l’histoire européenne, les partis de droite et d’extrême droite seront majoritaires au sein de l’Assemblée, même s’il est totalement impossible qu’ils forment une majorité vu la profondeur de leurs divergences idéologiques. Ils pèseront comme jamais sur l’agenda législatif, qui sera orienté à droite toute.