Il restait à peine trois heures avant la fermeture des bureaux, dimanche 18 mai, lorsque Pavel Dourov a jeté un pavé dans la mare. Sur les réseaux sociaux, le fondateur de la messagerie Telegram a accusé la France d’avoir cherché à interférer dans l’élection présidentielle, dont le second tour a finalement abouti, à la surprise générale, à la défaite du candidat d’extrême droite George Simion, battu par le maire centriste de Bucarest, Nicusor Dan. «Un gouvernement d’Europe occidentale (devinez lequel 🥖) a contacté Telegram pour nous demander de faire taire les voix conservatrices en Roumanie avant les élections présidentielles d’aujourd’hui. J’ai catégoriquement refusé», a d’abord écrit Pavel Dourov, avec une émoticône en forme de baguette pour aider ses abonnés à trouver la solution de sa devinette.
Puis l’entrepreneur russe naturalisé français en 2021 s’est montré plus explicite encore, dans la soirée, en citant nommément Nicolas Lerner, le directeur général du renseignement extérieur, qui lui aurait demandé de «bannir les voix conservatrices» lors d’une rencontre à l’hôtel Crillon à Paris, «au printemps». «Nous n’avons pas bloqué ceux qui protestaient en Russie, en Biélorussie ou en Iran. Nous ne le ferons pas en Europe», a insisté Pavel Dourov sur le réseau social X, dimanche. Aussitôt, la France s’est élevée contre les déclarations du milliardaire, qui avait été interpellé en région parisienne à l’été 2024, puis mis en examen pour une série de chefs d’accusation relatifs à des contenus illicites circulant sur Telegram.
Réfutations vigoureuses
Dans une réponse transmise lundi à l’AFP, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a indiqué avoir «effectivement été dans l’obligation, à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, d’entrer en contact direct avec Pavel Dourov pour lui rappeler fermement les responsabilités de son entreprise […] en matière de prévention des menaces terroristes et pédopornographiques». Mais elle a affirmé «réfuter avec vigueur les allégations selon lesquelles des demandes d’interdiction de comptes, en lien avec un quelconque processus électoral, auraient été formulées à ces occasions».
Nicusor Dan, le candidat victorieux, a dénoncé une «tentative manifeste d’influencer le résultat» du scrutin. Son adversaire George Simion, en revanche, s’est empressé de repartager la publication du fondateur de Telegram. Le député d’extrême droite, qui avait évoqué des fraudes électorales avant de reconnaître sa défaite dans la nuit, avait lui-même accusé Paris d’ingérence au cours de sa campagne. Sur le plateau de CNews, jeudi, il avait reproché à Emmanuel Macron des «tendances dictatoriales» et une «intervention» dans le processus électoral roumain. «L’ambassadeur de France a parcouru toutes les régions du pays pour convaincre les hommes d’affaires de soutenir mon adversaire», avait-il affirmé.
Sujet sensible
En Roumanie, le sujet est d’autant plus sensible que la justice avait invalidé en décembre le (premier) premier tour de l’élection présidentielle, qui avait placé en tête un autre représentant de l‘extrême droite, en raison de soupçons d’ingérence russe. La France s’était alors félicitée de cette décision. Ce vendredi, Emmanuel a de nouveau dénoncé des «ingérences» qui «sapent l’intégrité de nos démocraties». Le président de la République faisait référence à la Roumanie, mais aussi à la Pologne, où s’est tenu de dimanche le premier tour de l’élection présidentielle, et à la Moldavie, qui organise en septembre des élections législatives.
Ce lundi, Moscou a profité des publications de Pavel Dourov pour contre-attaquer. «Le fait que les pays européens – la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne – s’immiscent dans les affaires internes d’autres pays n’est pas une nouveauté, a déclaré Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. Ce ne sont que des exemples qui sont dévoilés. Croyez-moi, il y a certainement beaucoup plus d’exemples que ceux que nous connaissons.»