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Libération
Les voix de l'Europe (1/27)

Elections européennes à Malte : le «Dubaï de la Méditerranée» dans la torpeur

Le résultat des élections européennes à Malte est connu d’avance. Mais l’arène politique est traversée par des jeux de pouvoir et des rumeurs au sujet du come-back du très controversé ancien Premier ministre Joseph Muscat.
Le boom de l’économie maltaise est ironiquement en train de devenir le talon d’Achille du pays, avec un impact énorme sur l’environnement et les chiffres de l’immigration. (ewg3D/Getty Images)
par Herman Grech, rédacteur en chef du «Times of Malta»
publié le 24 avril 2024 à 15h27

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024 impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

La décision de Roberta Metsola de se rendre en Israël quelques jours seulement après l’attaque du Hamas du 7 octobre se voulait une preuve de solidarité. Mais alors qu’Israël déclenchait sa puissance militaire, la présidente du Parlement européen s’est vite rendu compte que cette visite reviendrait la hanter dans son pays natal, Malte. «Au lieu d’utiliser sa position pour envoyer un message fort afin d’arrêter les morts et de trouver une solution pacifique, elle n’y a vu qu’une occasion de se faire de la publicité», a déclaré le Premier ministre maltais, Robert Abela, à ses partisans.

Les appels répétés de Roberta Metsola à Israël pour qu’il respecte à la lettre le droit international et les principes humanitaires dans sa guerre à Gaza n’ont pas réussi à calmer ses détracteurs au sein du Parti travailliste maltais (Labour Party), au pouvoir, qui continuent de la qualifier de «facilitatrice de génocide». Il n’est pas étonnant que ceux-ci l’aient mis dans leur ligne de mire à l’approche des élections européennes. Ils savent qu’elle est la seule à pouvoir faire obstacle à une nouvelle victoire écrasante du Parti travailliste au profit de son Parti nationaliste de centre droit (NP). Même si celle-ci semble assurée, la popularité de Metsola, qui éclipse totalement celle de son parti, pourrait significativement réduire la marge de cette victoire.

Le dernier sondage commandé par le Times of Malta montrait que les travaillistes avaient une avance de 13 % à l’approche des élections – un chiffre impressionnant pour un parti qui a remporté tous les scrutins dans le plus petit Etat de l’Union européenne depuis 2008. Le Parti nationaliste a du mal à se défaire de l’image d’un mouvement sans gouvernail et sans inspiration – il a changé de leader à quatre reprises en onze ans. Un résultat désastreux pour le NP pourrait signifier la sortie du chef du parti, Bernard Grech [aucun lien de parenté avec l’auteur, ndlr]. Si cela se produit, les portes pourraient s’ouvrir en grand pour Roberta Metsola, considérée comme la successeure naturelle et la seule chance qu’ont les nationalistes de disputer le pouvoir aux travaillistes.

Corruption endémique

L’autre élément qui pourrait rendre encore plus écrasante cette victoire, c’est le retour possible de Joseph Muscat. L’ancien Premier ministre avait pourtant démissionné dans la plus grande disgrâce à la suite des révélations concernant le meurtre de la journaliste Daphne Caruana Galizia. Malgré l’ombre de la corruption qui plane sur lui – qui pourrait bien conduire à d’éventuelles poursuites judiciaires –, Muscat est traité comme un demi-dieu par les partisans du Labour pour avoir amélioré le sort de dizaines de milliers de personnes au cours de ses sept années au pouvoir.

La corruption à Malte n’a pas nécessairement d’impact sur la carrière politique. Le parti au pouvoir a été confronté à une litanie de scandales, allant d’un système visant à faciliter l’obtention de permis de conduire pour les «amis d’amis» à un système frauduleux de pensions d’invalidité pour lequel l’un de ses anciens députés fait l’objet de poursuites judiciaires. Daphne Caruana Galizia a été assassinée en octobre 2017, et pourtant le Parti travailliste a fait son meilleur score lors des européennes de 2019, suivi d’une autre énorme victoire électorale en 2022.

Il serait injuste de considérer que tous les électeurs maltais sont entièrement désensibilisés à la corruption. D’autres éléments entrent en jeu : le gouvernement travailliste au pouvoir favorise un sentiment de stabilité, et l’économie maltaise continue de prospérer, et semble même avoir été immunisée contre la pandémie. Le gouvernement a introduit plusieurs initiatives sociales progressistes qui lui ont valu une plus grande popularité. Et il est également expert dans l’exploitation de ses rentes politiques, les fidèles du parti étant régulièrement récompensés pour leur soutien.

Marché du travail attractif

Mais le boom de l’économie maltaise est ironiquement en train de devenir le talon d’Achille du pays, et a un impact énorme sur l’environnement et les chiffres de l’immigration. La population du plus petit Etat de l’Union européenne a augmenté de façon vertigineuse, de 20 % en seulement dix ans. Au cours des vingt dernières années, Malte a dû faire face à des bateaux remplis de demandeurs d’asile débarqués d’Afrique et arrivant sur l’île. Aujourd’hui, elle subit le poids des ressortissants de pays tiers qui profitent d’un marché du travail attractif. Cela signifie que l’immigration est en tête des préoccupations dans la plupart des sondages à l’approche des élections européennes. Le plus grand bénéficiaire de cette situation est Norman Lowell, un sympathisant nazi dont le parti Imperium Europa pourrait bien arriver en troisième position en juin prochain.

D’autres problèmes sont en jeu. L’obsession incessante du gouvernement pour la croissance du PIB a un coût : les précieux bâtiments historiques de Malte sont de plus en plus remplacés par des gratte-ciel, tandis que les routes continuent de dévorer le peu de terres agricoles pour y faire circuler encore plus de voitures. Il n’est pas étonnant que Malte soit de plus en plus surnommée le «Dubaï de la Méditerranée».

L’avortement reste un sujet tabou, la tentative timide du gouvernement travailliste de le décriminaliser ayant aliéné les conservateurs tout en ayant déçu les libéraux. Dans la plupart des pays, le parti écologiste tirerait profit de ces difficultés, mais le soutien aux Verts à Malte reste faible. Cependant, un ancien dirigeant des Verts, Arnold Cassola, devrait s’en sortir relativement bien en tant que candidat indépendant, notamment grâce à sa présence quotidienne dans les médias, où il met en avant les questions de fond.

Une tendance remarquable se dégage de la plupart des sondages : l’enthousiasme de l’électorat maltais, autrefois fervent, semble s’émousser, avec des prévisions de participation électorale en baisse et un sentiment de désillusion parmi de larges secteurs de l’électorat. Les derniers sondages ont montré que près de la moitié des personnes interrogées affirmaient ne pas avoir l’intention de voter, une statistique frappante dans un pays où la plupart des élections générales voient plus de 90 % des électeurs se rendre aux urnes. Les dernières élections européennes de 2019 ont vu un taux de participation de 73 %.

Malgré les tendances changeantes et les incertitudes, une constante demeure : la grande majorité des candidats sont pro-UE, un soulagement dans des élections européennes où l’on s’attend à ce que l’extrême droite progresse fortement. Dommage que ce sentiment pro-européen provienne du plus petit Etat de l’Union.