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Libération
Les voix de l'Europe (7/27)

Elections européennes au Danemark : le climat au cœur d’un houleux débat

Les prochaines élections européennes permettront de tester la solidité et la crédibilité des politiques environnementales du gouvernement danois, pourtant en berne dans les sondages.
Des militants pour le climat à Copenhague, en décembre 2020. (Martin Sylvest/Reuters)
par David Dragsted, rédacteur en chef de Føljeton
publié le 3 mai 2024 à 15h18

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024 impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

Pour le gouvernement centriste danois, dont la popularité est en chute libre, les prochaines élections européennes constituent une étape cruciale de mi-mandat. Pour la première fois depuis les élections législatives de 2022, et après la mise en place d’un large éventail de réformes plus ou moins controversées, la coalition majoritaire entre le Parti social-démocrate, les Modérés (un nouveau parti centriste) et le Venstre (le parti libéral danois) va se soumettre à l’examen des électeurs. La crise climatique se trouvant sans conteste en tête des priorités pour les Danois, les efforts du gouvernement en matière d’écologie seront suivis de près, tandis que le débat sur l’introduction d’une taxe sur les émissions de carbone liées au secteur agricole fait rage.

En février 2024, une enquête menée par l’institut de sondage Epinion pour le diffuseur public Danmarks Radio et le média Altinget a montré que plus de la moitié des Danois interrogés ne connaissaient pas neuf des onze principaux candidats. En l’absence de profils politiques majeurs, les élections européennes risquent de se transformer en une lutte pour le pouvoir, au caractère essentiellement symbolique, entre les nombreux partis danois.

Justifier son existence

Pour la première fois depuis près de trente ans, le Danemark a obtenu un gouvernement majoritaire lors des élections législatives de 2022. Et ce n’est que la deuxième fois dans l’histoire que les sociaux-démocrates et le Venstre, les deux principaux partis centristes du pays, situés de part et d’autre du traditionnel clivage politique rouge/bleu, choisissent de former un gouvernement ensemble. La dernière fois, c’était en 1978. L’expérience, qui s’était révélée infructueuse, avait duré à peine plus d’un an.

A la surprise générale, et malgré les signes précurseurs de 1978, les sociaux-démocrates n’ont pas fait le choix, après les élections, de former un gouvernement minoritaire de gauche et sensible à la question climatique. Ils ont plutôt décidé d’unir leurs forces à celles de deux autres partis : le Venstre et les Modérés. Le parti des Modérés est lui-même un parti dissident du Venstre, dirigé par l’ancien Premier ministre Lars Lokke Rasmussen, et se présente sous la couleur violette, un mélange pragmatique de bleu et de rouge. En théorie, cette alliance a du sens : les sociaux-démocrates amorcent depuis quelques années un virage à droite. Cependant, chaque parti a dû faire d’importantes concessions pour obtenir une majorité, et le résultat a surpris plus d’un électeur. Depuis, le gouvernement peine à justifier son existence.

En 2023, le gouvernement centriste a connu sa première épreuve de force, après avoir annoncé la suppression du «grand jour de la prière» (le «store bededag», traditionnellement tenu le quatrième vendredi après Pâques) pour financer la hausse du budget de l’armée. Cette décision, lourdement critiquée par l’opposition et les syndicats, a donné lieu à de nombreuses manifestations. Depuis, les sondages d’opinion sont décourageants pour la coalition gouvernementale, indiquant une chute considérable de sa popularité.

Le climat au second plan

Depuis la pandémie de Covid-19, la Première ministre social-démocrate Mette Frederiksen est passée maître dans l’art de la rhétorique de crise. La chute de popularité du gouvernement affichée dans les sondages place la question de la poursuite des efforts de réarmement de la défense danoise sur le devant de la scène. Le soutien des Danois à l’Ukraine reste important et les récents investissements dans l’armée, qui s’élèvent à plusieurs milliards d’euros, constituent un accord gagnant-gagnant indéniable que l’opposition peut difficilement critiquer. Cependant, le gouvernement, malgré de nombreuses promesses en matière d’écologie, a déployé peu d’énergie pour lutter contre la crise climatique.

Alors que le Danemark s’est construit une réputation de pays «respectueux de l’environnement» à travers le monde – surtout si l’on en croit le ministre du Climat, Lars Aagaard (les Modérés) et le ministre de la Politique climatique globale, Dan Jorgensen (Social-démocratie) – le débat autour de la question climatique reste plutôt houleux à l’échelle nationale. Le Conseil danois sur le changement climatique, un organisme indépendant composé d’experts chargés de guider la transition vers une société sobre en carbone, n’a pas manqué de critiquer à plusieurs reprises le manque d’action du gouvernement. Plus récemment, la question de savoir si l’agriculture, tout comme d’autres industries au Danemark, devrait s’acquitter d’une taxe sur les émissions de carbone, a provoqué un tollé. Tandis que le Venstre, parti traditionnel des agriculteurs, ne souhaite pas aller trop loin, les sociaux-démocrates, quant à eux, sont fermement opposés à la hausse des prix de la viande pour le consommateur moyen. Malgré tout, le secteur agricole reste responsable de près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre au Danemark.

En début d’année, un autre comité d’experts a émis des recommandations en faveur d’une taxe climatique pour le secteur agricole. Les agriculteurs ont immédiatement réagi en menaçant de manifester, mais le gouvernement n’en a pas vraiment pris la mesure. Un troisième comité a été créé afin de discuter des recommandations émises par le deuxième comité, ce qui n’a fait que retarder les négociations. Les organisations professionnelles du secteur agricole, quant à elles, remettent en doute la fiabilité des calculs. A l’aube des élections européennes, la question du rôle joué par le secteur agricole dans la crise climatique est un débat politique majeur qui reste en suspens. Il ne fait aucun doute que l’opposition tentera de tirer parti de cette situation. Et le gouvernement devra de nouveau expliquer comment son mélange de rouge, de bleu et de violet pourra prendre une tournure verte.